Conflits : Causes et solutions

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Points de vues de vue de membres

Tenter d’établir un portrait type des conflits en coopérative d’habitation serait une entreprise périlleuse. Pour alimenter la réflexion, six membres ont toutefois accepté de partager leur expérience des conflits et leurs points de vue sur les solutions à privilégier.

Pour éviter d’alimenter d’autres situations conflictuelles, les participants ont témoigné de façon anonyme. Les prénoms utilisés sont fictifs.


Nicole

« Le commérage, la tendance des humains à se comparer et l’ingérence alimentent bon nombre de conflits », soutient Nicole, présidente du conseil d’administration d’une grande coopérative d’habitation. Pour y faire face, son mot d’ordre est simple : « Si vous vous mêlez de vos affaires, il n’y en aura pas de conflits », dit-elle.

Nicole convient toutefois qu’une telle recette n’est pas à toute épreuve. Dans le passé, sa coop a dû composer avec un conflit coûteux entre un administrateur influent et un membre qui l’avait insulté.

« Le CA a provoqué un membre qui s’est pris un avocat. Le dossier s’est rendu jusqu’en Cour d’appel. Le membre n’a rien gagné, il a quitté la coop, mais ça nous a couté 15 000 $ en frais d’avocat. L’ancien CA, probablement par inexpérience, a manqué de discernement dans cette affaire qui était en fait un trip d’ego entre deux individus », déplore-t-elle.

Déterminée à s’attaquer à la racine du mal, la nouvelle équipe du conseil d’administration a misé sur la formation. « Nous avons organisé des ateliers sur les communications, le bon voisinage, le harcèlement et l’intimidation. Pas moins de 86 personnes ont participé. On les laissait parler. On essayait de passer l’idée que mon livre de vérité, ça ne veut pas dire que l’autre va l’acheter. Y en a qui ont beaucoup de leadership, mais qui pensent qu’ils sont dieux aussi. C’est dangereux! »

Un comité de résolution des conflits a aussi été mis sur pied. Son travail de médiation a d’ailleurs récemment permis de régler un litige entre deux membres d’un comité. Ce sont les gens eux-mêmes qui ont apporté la solution, raconte fièrement Nicole.


Gabriel

« Dans les coopératives, fréquemment parce qu’on a plus de connaissances, on se centre sur ses propres idées en pensant que c’est ce qu’il y a de mieux et on n’écoute plus les gens qui sont moins scolarisés et moins nantis. On leur enlève la liberté de s’exprimer », dit Gabriel, vice-président de sa coopérative, qui voit dans ce comportement une source importante de conflits.

À sa coop, une ex-présidente du CA, qui en imposait par son statut professionnel, a poussé plusieurs membres à déménager. « Elle écrasait tout le monde. Les gens se soumettaient, parce qu’ils n’avaient pas le choix. »

La démotivation et le manque de participation découlent souvent de ces situations, pense-t-il. « Dans ma coop, je sais qu’il y a deux victimes. Ces gens-là, pour des niaiseries, se sont fait taper dessus et, aujourd’hui, on est surpris qu’ils soient rebelles, réticents, et qu’ils soient sur leur garde. Bien, chat échaudé craint l’eau froide. »

Au rang des pratiques nocives à bannir, il note aussi la mauvaise utilisation des ressources humaines. « Si tu as une personne qui a une grande expérience en secrétariat et qu’au lieu d’utiliser cette force-là, tu l’obliges à laver les planchers du corridor, elle se sent obligée de participer, mais elle ne le fait pas avec gaieté de cœur. Et dès que quelqu’un va lui dire un petit quelque chose, cette personne va réagir et il va y avoir un affrontement », dit-il.


Cécile, Isabelle et Dave

Au fil des ans, ces trois membres du comité de bon voisinage d’une très bonne coopérative ont vu toutes sortes de conflits. Si les situations impliquant des personnalités conflictuelles sont les plus courantes, le processus démocratique peut aussi favoriser les conflits, remarquent-ils.

L’adoption d’une nouvelle politique sur les loyers a laissé des marques et renforcé les clivages à la coop. La difficulté de concilier les intérêts personnels et collectifs était en cause, croit-on.

« On n’est pas capable de prendre un certain recul et de penser à la coop, comme si, collectivement, on ne pouvait pas arriver à une solution. C’est l’un contre l’autre alors qu’on est tous dans le même bateau. Il faudrait philosopher sur ça, faire un préambule aux assemblées et rappeler pourquoi il faut travailler ensemble », explique Isabelle.

Les activités associatives qui ont pour objectif de rapprocher les membres ont un certain succès, note Dave, « mais ça retombe rapidement et les clivages persistent ». De plus, toutes les activités ne se terminent pas bien. Une fête communautaire tenue dans les dernières années a dégénéré en affrontement entre deux membres en froid, au point où l’un d’eux a jugé nécessaire d’alerter la police.

« On a rencontré les deux personnes. On les a écoutées, mais elles ne se parlent toujours pas depuis, » relate Cécile pour qui bien des conflits sont alimentés par des malentendus. « Si on ne clarifie pas le malentendu, c’est sûr que chacun gardera son impression. Ça va grossir comme une boule de neige. Et si on le met de côté, ça va ressortir », ajoute-t-elle.

Pour cette raison, Isabelle et Cécile croient que leur coop pourrait tirer avantage des nouveaux services gratuits de médiation offerts aux membres des coopératives d’habitation par la clinique de l’Université de Sherbrooke.

Dave ne partage pas cet avis. « Un service comme ça ne passerait pas ici. Les gens n’en veulent pas, ils ne sont pas intéressés », déplore-t-il. Cécile confirme ces résistances. « Lors d’un conflit au CA, j’ai proposé d’aller en médiation. Tout le monde était contre. Pourtant, si j’ai un problème avec quelqu’un, je suis prête à en débattre devant une personne neutre », dit-elle.


Louisa

L’absence de contrepoids démocratique dans la formule coopérative en habitation est en cause dans de nombreux conflits, selon Louisa, une personne légèrement handicapée, qui a finalement été exclue comme membre et a quitté sa coopérative après plus de neuf années de bataille avec le conseil d’administration, dont une plainte déposée à la Commission des droits de la personne.

« Dans la vraie démocratie, il y a un système de frein et de contrepoids, il n’y en a aucun dans les coopératives », dit-elle, décrivant son ancienne coopérative comme une organisation opaque où régnaient les conflits d’intérêts, la discrimination et les abus de pouvoir.

Le principe même de l’autogestion au cœur de la formule coopérative fait problème à ses yeux. « Ça ne marchera jamais si vous accordez un pouvoir économique à certains membres sur leurs pairs, parce que les membres de coopératives, les administrateurs, ce ne sont pas des professionnels, ce sont des voisins. Les voisins de partout au monde se disputent pour des vétilles et pour des questions très graves », dit-elle.

Notant la relative impuissance de la FECHIMM et des agences gouvernementales à intervenir dans la gestion des coopératives, Louisa estime que l’instauration d’un tribunal indépendant permettant d’arbitrer les conflits est nécessaire dans le mouvement coopératif en habitation.


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Des pistes à suivre

Jeanne Hubert est une référence dans le mouvement coopératif. Intervenante psycho-sociale, formatrice et médiatrice, elle est membre d’une coopérative d’habitation depuis 35 ans. Depuis plus de 10 ans, elle donne à la FECHIMM et en coopérative les ateliers Communication, Résolution de conflits et Introduction à la médiation. Elle présente ici quelques réflexions sur les causes des conflits et sur les moyens de préserver ou d’assainir le climat dans les coopératives d’habitation.

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