HISTORIQUE DU MOUVEMENT COOPÉRATIF EN HABITATION

Large pionniers rochdale

DÉBUT DU MOUVEMENT COOPÉRATIF : LES ÉQUITABLES PIONNIERS DE ROCHDALE

Bien que les plus anciennes traces d’une coopérative remontent à 1761, à Fenwick en Écosse, le mouvement coopératif est réputé être né à Manchester en Angleterre dans le contexte de la Révolution industrielle qui a créé une nouvelle classe de travailleurs, les ouvriers. Wikipédia présente ainsi les conditions ayant mené à la création de la première coopérative de consommateurs.


Voir aussi

Des personnalités marquantes de l'histoire du mouvement coopératif en habitation à Montréal témoignent de leur expérience et de l'évolution de la FECHIMM depuis 1983.


Naissance du mouvement

Dans les années 1840, les tisserands de Rochdale, dans la région de Manchester, réclament sans succès des hausses de salaire. Ils constatent que leur niveau de vie est non seulement dépendant des manufacturiers, qui décident des salaires, mais aussi des commerçants, qui fixent le prix auquel ils vendent leurs produits.

En 1844, 28 tisserands se rassemblent donc pour fonder, grâce à de modestes souscriptions, une association, « la Société des Équitables Pionniers de Rochdale », et ouvrent un magasin coopératif. Le but est simple : garantir à la clientèle des prix raisonnables (en vendant au comptant) et une bonne qualité de produits.

Vue extérieure du Musée Toad Lane à Rochdale, en Angleterre. L'immeuble abritait les locaux du premier magasin coopératif.

Par Scarletharlot69 [CC BY 3.0], Via Wikimedia Commons


La coopérative allait connaître une croissance fulgurante, atteignant un million d’adhérents au début du XXe siècle. Elle s’est ensuite diversifiée dans d’autres secteurs, notamment en fondant une première coopérative d’habitation en 1860. Elle développe enfin un modèle éducatif très important, avec bibliothèque, cours et conférences pour enfants et adultes.

Les principes de Rochdale

Les règles qui régissent le fonctionnement de cette Société vont rapidement devenir un modèle pour le mouvement coopératif qui les utilisera comme des principes de base. Les quatre règles fondamentales (toujours en vigueur aujourd'hui) sont ainsi :

  1. la "porte ouverte" : toute personne souhaitant acheter dans le magasin coopératif ou devenir sociétaire (c'est-à-dire acheter des actions de la Société) en est parfaitement libre, il n'y a pas de conditions d'adhésion;
  2. "un homme, une voix" : lors des assemblées générales, tous les sociétaires possèdent une voix, quel que soit le nombre d'actions qu'ils possèdent;
  3. la répartition des bénéfices entre les membres de la Société : ainsi, pour un magasin, les bénéfices sont distribués entre les vendeurs au prorata de leurs apports;
  4. la rémunération limitée du Capital : les sociétaires, ceux qui ont investi pour acheter des actions, touchent chaque année un intérêt proportionnel à leur nombre d'achats et non aux bénéfices : s'ils veulent toucher une forte part des bénéfices, ils ont donc intérêt à acheter beaucoup, plutôt que d'acheter beaucoup d'actions.

Notes et références

  1. ↑ P. Toucas et M. Dreyfus, Les coopérateurs. Deux siècles de pratique coopérative, éd. Atelier, 2005.
  2. ↑ George-Jacob Holyoake, Histoire des équitables pionniers de Rochdale, Éditions du commun, 2017.

CRÉATION DE L’ALLIANCE COOPÉRATIVE INTERNATIONALE

Le projet initial des Pionniers de Rochdale connaît tellement de succès qu’il donne lieu à la création de l’Alliance coopérative internationale en 1895. En 1995, lors de l'Assemblée générale du Centenaire de l’Alliance à Manchester, une nouvelle déclaration sur l’identité coopérative est définie et la révision des principes coopératifs est adoptée. Ces principes encadrent le fonctionnement de toutes les coopératives du monde dans tous les secteurs et constituent des repères qui guident les coopératives dans l’application de leurs valeurs.

Principes coopératifs

1 - Adhésion volontaire et ouverte à tous

Les coopératives sont des organisations fondées sur le volontariat et ouvertes à toutes les personnes aptes à utiliser leurs services et déterminées à prendre leurs responsabilités en tant que membres, et ce, sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race, l'allégeance politique ou la religion.

2 - Pouvoir démocratique exercé par les membres

Les coopératives sont des organisations démocratiques dirigées par leurs membres qui participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décisions. Les hommes et les femmes élus comme représentants des membres sont responsables devant eux. Dans les coopératives de premier niveau, les membres ont des droits de vote égaux en vertu de la règle - un membre, une voix; les coopératives d'autres niveaux sont aussi organisées de manière démocratique.

3 - Participation économique des membres

Les membres contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle. Une partie au moins de ce capital est habituellement la propriété commune de la coopérative. Les membres ne bénéficient habituellement que d'une rémunération limitée du capital souscrit comme condition de leur adhésion. Les membres affectent les excédents à tout ou partie des objectifs suivants : le développement de leur coopérative, éventuellement par la dotation de réserves dont une partie au moins est impartageable, des ristournes aux membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative et le soutien d'autres activités approuvées par les membres.

4 - Autonomie et indépendance

Les coopératives sont des organisations autonomes d'entraide, gérées par leurs membres. La conclusion d'accords avec d'autres organisations, y compris des gouvernements, ou la recherche de fonds à partir de sources extérieures, doit se faire dans des conditions qui préservent le pouvoir démocratique des membres et maintiennent l'indépendance de leur coopérative.

5 - Éducation, formation et information

Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés l'éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer efficacement au développement de leur coopérative. Elles informent le grand public, en particulier les jeunes et les dirigeants d'opinion, sur la nature et les avantages de la coopération.

6 - Coopération entre les coopératives

Pour apporter un meilleur service à leurs membres et renforcer le mouvement coopératif, les coopératives œuvrent ensemble au sein de structures locales, régionales, nationales et internationales.

7 - Engagement envers la communauté

Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d'orientations approuvées par leurs membres.

Ces principes complètent les valeurs mises de l’avant par l’Alliance : l’entraide, l’autoresponsabilité, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité.


MONDRAGON : UN MODÈLE COOPÉRATIF RECONNU INTERNATIONALEMENT

Les installations de Mondragon à Arrasate-Mondragón en Espagne.

Photo de Colaborativa dot eu de Córdoba, Espagne, [CC BY 2.0], via Wikimedia Commons


La Corporation Mondragon est le plus grand groupe coopératif du monde. Située au Pays basque, elle réunit 289 entreprises et entités (dont environ la moitié sont elles aussi des coopératives), structurées en quatre groupes sectoriels : la finance, l'industrie, la distribution et la connaissance avec des aires de recherche et de formation.

Elle est le fruit de la vision d’un jeune vicaire de paroisse, le prêtre basque José María Arizmendiarrieta, et de l’effort solidaire des salariés-associés, qui ont su, en 1956, transformer un petit atelier consacré à la fabrication de fourneaux et de réchauds au pétrole en premier groupe industriel basque (près de 30 000 travailleurs associés dans cette région) et septième en Espagne, avec 12 milliards d’euros de recettes en 2016 et 73 635 travailleurs au total, ainsi que des infrastructures scolaires qui accueillent près de 11 000 étudiants.

Elle se donne les objectifs d’une entreprise compétitive sur les marchés internationaux, par l’utilisation de méthodes démocratiques d’organisation de la société, la création d’emploi, la promotion humaine et professionnelle de ses travailleurs et l’engagement de développement de son environnement social.


LE MOUVEMENT COOPÉRATIF AU QUÉBEC

Les caisses populaires Desjardins

De gauche à droite : le fondateur du mouvement des caisses populaires, Alphonse Desjardins, et son épouse Dorimène Roy-Desjardins


Dans les années 1840 – 1900, on assiste à l’émergence de sociétés de secours mutuel et de premières coopératives en milieu agricole.

Mais c’est la création de la première caisse populaire en 1900 à Lévis par Alphonse Desjardins et son épouse Dorimène Roy-Desjardins (avec un premier dépôt de 10 cents!) qui donne l’élan au développement d’un secteur coopératif au Québec. Dans les années qui suivent, Alphonse Desjardins contribuera à fonder 200 caisses populaires d’épargne et de crédit au Québec et en Nouvelle-Angleterre.

Cette initiative est soutenue par l’Église catholique qui y voit un moyen non seulement d’aider les classes populaires canadiennes-françaises à se libérer des prêts usuraires et de l’endettement, mais aussi de lutter contre l’influence du communisme. Les caisses s’unissent en 1920 pour fonder ce qui est devenu aujourd’hui le Mouvement Desjardins.


Expansion du mouvement coopératif

Le cardinal Villeneuve, Mgr Camille Roy, le Père Georges-Henri Lévesque (en blanc) et J.-Ernest Grégoire, en 1938 au Palais Montcalm à Québec, lors de l'annonce de la fondation de l'École des sciences sociales de l'Université Laval

Photo : Auteur inconnu [Domaine public], via Wikimedia Commons


En 1918, le père Georges-Henri Lévesque, qui enseigne les sciences sociales à l’Université Laval, crée le Conseil supérieur de la coopération qui deviendra par la suite le Conseil de la coopération du Québec (CCQ), puis le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM).

Dans les années 30, de nouveaux secteurs, par exemple les pêches et la foresterie, adoptent le modèle coopératif afin de faire face à la Crise économique. Peu à peu, la formule coopérative s’implante dans plusieurs domaines d’activités :

  • agroalimentaire;
  • forêt et énergie;
  • scolaire;
  • funéraire;
  • services financiers et assurances;
  • art et culture;
  • santé et services sociaux;
  • services aux Autochtones;
  • transport;
  • Etc.

Et bien sûr l’habitation, qui réunit près de la moitié de l’ensemble des coopératives, soit 1 300 établissements.

Globalement, le mouvement coopératif au Québec c’est :

  • 3 000 entreprises coopératives et mutuelles;
  • 8 millions de membres (particuliers et entreprises);
  • plus de 116 000 emplois;
  • 39 milliards $ de chiffre d'affaires.

Guyenne, un village coopératif

PHOTO : Bibliothèque et archives nationales du Québec / Gérard Ouellet


Le Québec comporte lui aussi un « mini Mondragon » : c’est le village de Guyenne, en Abitibi, qui a été fondé en 1947 sur des bases entièrement coopératives. C’est un courant de pensée selon lequel la maîtrise de leur économie par les Canadiens-français nécessite la constitution d’un ensemble économique stable fondé sur l’exploitation de nos richesses naturelles, en premier lieu la terre et la forêt, qui déclenche le mouvement de colonisation de l’Abitibi.

Et, dès cette époque, la Fédération des sociétés de colonisation voit dans le système coopératif la voie à suivre pour le développement des nouvelles colonies. Le Syndicat des Pionniers de Guyenne -- qui deviendra plus tard la Coopérative de travail de Guyenne -- est alors créé, et 190 lots cultivables sont mis à la disposition de ses membres à la condition qu’ils renoncent à la propriété privée.

Au fil des ans, cette première initiative se déploiera dans plusieurs autres secteurs et donnera naissance à d’autres coopératives. Mentionnons un magasin général coopératif, une coopérative d’habitation (1985), les Serres coopératives, une coopérative forestière, sans compter la Caisse populaire Desjardins locale. Ces différentes entreprises coopératives assurent à la population du village des emplois stables, permanents et bien rémunérés.

Dans les années 1990, les difficultés économiques dues aux fluctuations de la conjoncture et notamment au conflit sur le bois d’œuvre avec les États-Unis conduisent à la fermeture de certaines installations et mettent même en péril la survie du projet coopératif qui perd de nombreux membres. Mais la population locale s’accroche, et les activités sont relancées. La Coopérative de travail de Guyenne a donc toujours agi comme moteur de développement économique et social important dans sa communauté.


LE SECTEUR DE L’HABITATION

Vue générale d'Asbestos vers 1922. Collection : Société d'histoire d'Asbestos
Fonds : Gonzague Dubois


Premières coopératives d'habitation au Québec

Les toutes premières coopératives d’habitation sont apparues à compter de 1941, à Asbestos, souvent à l’initiative de l’Église catholique (oui, là encore pour faire obstacle au communisme). Il s’agissait de coopératives de maisons individuelles construites collectivement par les membres de façon bénévole (système des corvées) qui avaient pour but de favoriser l’accès à la propriété pour les Canadiens-français. Une fois toutes les maisons d’une coopérative réalisées, celle-ci était dissoute. Entre 1941 et 1968, 200 coopératives construisent ainsi 10 000 maisons.

En 1964, une commission d’étude recommande que le mouvement coopératif en habitation développe lui-même des logements qui seraient subventionnés par le gouvernement pour une clientèle à revenu modeste. C’est cette commission qui introduit le principe de propriété collective perpétuelle où les membres sont à la fois locataires et propriétaires.

Fédération Coop Habitat

La création de la Fédération Coop Habitat en 1969 résulte de cette commission, avec le soutien de la Société d’habitation du Québec et du Mouvement Desjardins. La Fédération est un organisme centralisé où des professionnels occupent toute la place, en laissant bien peu aux membres de la base. Ils développent des coopératives dont les loyers sont assez élevés et tentent ensuite de recruter des membres, sans beaucoup de succès. La Fédération déclare faillite en 1971.

La Coopérative d’habitation étudiante Durocher, un projet de la Fédération Coop Habitat

Photo : Pierre-Alain Cotnoir


Premières initiatives en habitation coopérative à Montréal

À Montréal, les premières initiatives coopératives en habitation démarrent à St-Léonard en 1948, sous l’influence de la Ligue ouvrière catholique (LOC). Celle-ci aide à mettre sur pied des coopératives d’habitation qui construisent des maisons à prix abordable destinées à être ensuite revendues à leurs membres.

La Ville de Montréal offre des terrains à bas prix et des réductions de taxes de moitié pendant les 15 premières années. La Société centrale d’hypothèques et de logement, nouvellement créée (voir ci-dessous) encourage elle la production de logements. De son côté, le Québec finance une partie des taux d’intérêt. Ce courant donne lieu à un projet très ambitieux : la Coopérative d’habitation de Montréal. Fondée en 1955, celle-ci fait l’acquisition d’une terre à Saint-Léonard au nord de la rue Jarry.

Vue aérienne de la coopérative d’habitation de Montréal en construction en 1958.

Photo : Bibliothèque de Saint-Léonard


La construction des 655 maisons unifamiliales se poursuit jusqu’en 1962, au rythme de 10 maisons complétées par mois en moyenne. Une fois achevé, c’est alors le plus important ensemble domiciliaire coopératif au Québec.

À partir de 1963, malgré ses grands succès, la coopérative est en situation de faillite et la décision est prise de la liquider. Une partie des terrains toujours en sa possession, notamment la zone industrielle de Saint-Léonard, est vendue. Le processus prendra presque 20 ans et la coopérative sera définitivement liquidée en 1985. Tous les sociétaires parviendront toutefois à devenir propriétaires de leur maison.


Le rôle initial du gouvernement fédéral

Avec la Crise des années 30, les restrictions causées par la guerre, l’exode rural vers les villes et le développement d’usines d’armement qui provoque l’arrivée massive de personnes attirées par les nouveaux emplois, sans compter l’afflux des vétérans à la fin de la guerre, entraînent une forte pénurie de logements. Déjà le rapport Curtis de 1942 avait fait état des immenses besoins en logement des classes populaires, ce qui conduit à l’adoption de la Loi nationale sur l’Habitation en 1944 et à la création de la Société centrale d’hypothèques et de logement en 1946 dont le mandat initial était d’accélérer la production de logements, d’éliminer les taudis et de développer, posséder et gérer des ensembles de logements publics.

Il est à noter que, lorsque la SCHL se départira de ce dernier mandat, cela donnera lieu à la reprise de plusieurs grands ensembles immobiliers par des coopératives. Toutefois, dans le cas d’un important complexe immobilier à Pierrefonds, il faudra 20 ans de lutte de la part des locataires pour réussir, en 2001, à former eux aussi une coopérative, soit la Coopérative Village Cloverdale, la plus grande au Canada avec 865 logements.

Mais jusqu’en 1968, c’est l’accession à la propriété et la maison individuelle qui représentent le premier et le plus important investissement (au point de vue des programmes hypothécaires) de la SCHL, ce qui favorise le développement des banlieues et ce qu’on appelle aujourd’hui le phénomène de l’étalement urbain.

Des immeubles de la Coopérative Village Cloverdale


Cette orientation est loin de répondre aux besoins de la population. À preuve, l’apparition en 1946 de la Ligue des Vétérans sans logis à Montréal, créée à l’initiative du Parti ouvrier progressiste (POP), de sympathies communistes, lui-même fondé en 1943. Pour loger les familles, la Ligue organise des occupations de maisons de jeu, dénonçant du même coup les activités illicites de ces dernières. Malgré tout, ce sont les squatteurs qui font l’objet de poursuites criminelles.

Dans l’histoire des luttes pour le droit au logement, ils ne seront pas les seuls à faire de la prison. Il n’y a qu’à penser aux locataires du quartier Milton Parc en 1972 et à celles et ceux de l’îlot Overdale en 1988. De telles opérations de squat ont également lieu à Ottawa et Vancouver ainsi que dans des villes américaines et européennes.

Le mouvement des squatteurs, bien que de brève existence (1946-48), a néanmoins contribué à convaincre le gouvernement fédéral de financer, à partir de 1949, un programme de construction de logements publics destinés aux familles à faible revenu. Ce programme est cependant demeuré modeste, puisqu’il n’a permis de financer que 14 000 unités de HLM entre 1950 et 1964, dont uniquement 788 au Québec, concentrées dans les Habitations Jeanne-Mance inaugurées entre 1959 et 1961 .

Au Canada, certaines des premières coopératives d’habitation sont des coopératives étudiantes, dont la Campus Co-operative Residence à l’Université de Toronto, qui voit le jour en 1936, et la Science 44 Co-operative, qui ouvre ses portes à l’Université Queen’s en 1944.

En 1965, un projet-pilote de coopérative locative à possession continue, la Coopérative Willow Park, prend naissance à Winnipeg. Elle comprend 200 maisons individuelles. En 1973, une nouvelle enquête fédérale révèle la grande précarité des locataires, dont la proportion atteint 80 % en milieu urbain.

La Coopérative d'habitation Willow Park de Winnipeg

Photo : gracieuseté de la coopérative


C’est alors que le gouvernement fédéral lance le premier programme de développement de coopératives, le programme 34.18 (du numéro de l’article correspondant de la Loi nationale sur l’habitation). Ce programme demeurera en vigueur jusqu’en 1979 et, lui aussi, il mise sur les corvées réalisées par les membres pour réduire les coûts de réalisation et l’emprunt hypothécaire.

Au Québec, le Parti Québécois prend le pouvoir en 1976 et décide de profiter de ces subventions fédérales. Il crée en 1977 le programme Logipop ainsi que le réseau des groupes de ressources techniques (GRT), des organismes sans but lucratif répartis dans toutes les villes et les quartiers et employant des professionnel(le)s qui travaillent avec les citoyen(ne)s souhaitant réaliser des coopératives d’habitation.


Photomontage : (Sources: Espace Habitat et archives FECHIMM)


Mais le pays plonge dans une grave crise économique, sans compter l’effet inflationniste des Jeux olympiques à Montréal en 1976, et les taux d’intérêt hypothécaires explosent, dépassant plus de 20 %. Le développement immobilier se trouve paralysé.

Le gouvernement fédéral décide d’appliquer des mesures keynésiennes et d’investir massivement pour soutenir le marché immobilier et les institutions financières. C’est alors qu’il remplace le programme 34.18 (plus tard renuméroté article 61) par le programme 56.1 (lui aussi plus tard renuméroté article 95). C’est grâce à ce dernier programme que se sont développées la majorité des coopératives. Sur les 626 coopératives présentes dans le territoire de la FECHIMM, 261 ont été réalisées en vertu du programme 56.1.

Non seulement le programme 56.1 a permis de rénover des centaines de logements dans les quartiers populaires, mais il a aussi introduit le principe des « droits acquis ». En vertu de celui-ci, les membres ne subissent, après la réalisation des travaux, qu’une faible augmentation de loyer, celle-ci étant déterminée selon les plus bas loyers du marché, contrairement à ce qui se fait dans le marché privé où les hausses importantes de loyer après rénovations conduisent à toutes fins utiles à l’expulsion des locataires en place.

En outre, au moins 15 % des membres, s’ils sont à faible revenu, peuvent bénéficier de l’aide assujettie au contrôle du revenu (AACR), une subvention leur permettant de ne payer que 25 % de leur revenu pour le loyer.

Malgré les programmes gouvernementaux, le développement du logement social ne se faisait pas sans difficulté. Et il faut se rappeler que dès début des années 1960, les gouvernements se lancent dans de grands chantiers qui conduisent à des démolitions de centaines de logements, notamment dans le quartier Centre-Sud, pour faire place à l’autoroute est-ouest et à la tour de Radio-Canada.

Démolition du Faubourg à m'lasse. 1963.
Photo : Archives de la Ville de Montréal - Album " Les quartiers disparus de Montréal : le Faubourg à m'lasse" VM94-C290-018


Cette réalité provoque de fortes mobilisations populaires, et les locataires s’engagent dans des luttes souvent assez dures pour sauvegarder leurs quartiers et s’opposer aux fortes hausses de loyer. Plusieurs coopératives sont issues de ces luttes. L’exemple le plus notable est celui du quartier Milton Parc, au centre-ville de Montréal, qu’un promoteur immobilier veut raser pour y ériger des tours résidentielles et commerciales.

Manifestation et occupation des bureaux de location de Concordia Estate, en mai 1972. Photo : David Miller. Tous droits réservés.


Il réussit en partie, puisqu’on y trouve aujourd’hui le complexe La Cité. Toutefois, les occupant(e)s forment, en 1968, un comité de lutte et réussissent, après 10 ans, à s’approprier les 2/3 du secteur. Grâce au nouveau programme 56.1, ils y créeront 15 coopératives et cinq OSBL et maisons de chambres, regroupant une population de 1 500 personnes. En 1998, le complexe de Milton Parc se dote d’un syndicat de copropriété pour éviter que les immeubles puissent être vendus et également pour se donner des services collectifs.

Naissance du FRAPRU

C’est aussi à cette époque, en 1978, qu’est fondé le FRAPRU, le Front d’action populaire en réaménagement urbain, un regroupement provincial réunissant des comités logement, des comités de citoyen(ne)s et des groupes communautaires qui luttent pour le droit au logement et le logement social. Au fil des ans, le FRAPRU a organisé plusieurs actions et coups d’éclat pour faire connaître les besoins des locataires à faible revenu et revendiquer des programmes et des budgets soutenant le développement de logements sociaux et communautaires.

Mentionnons notamment la publication, après chaque recensement fédéral, d’un dossier noir sur le logement et la pauvreté (qui en est à sa septième édition), l’organisation d’un camp des mal logé(e)s en 2011 et d’un camp pour le droit au logement en 2015 et enfin, en septembre 2018, la grande Marche « De villes en villages pour le droit au logement » d’Ottawa à Québec. La revendication centrale que porte le FRAPRU est la réalisation de 50 000 logements sociaux et communautaires en 10 ans.

La grande Marche « De villes en villages pour le droit au logement » d’Ottawa à Québec lors de son passage à Montréal en septembre 2018


Mais la crise économique se résorbe, les taux d’intérêt chutent à 5 %, et le gouvernement fédéral abolit le programme 56.1 pour le remplacer, en 1986, par le programme PHI (programme à paiements hypothécaires indexés), beaucoup moins généreux. Pour justifier ce changement, le gouvernement fédéral affirme que, les taux d’intérêt ayant considérablement diminué, l’accès à la propriété est désormais à la portée de la population.

Ce programme, qui suscite une forte opposition, abolit le principe des droits acquis pour le remplacer par la norme des « loyers moyens du marché », nettement plus élevés. Toutefois, un pourcentage de 30 % à 50 % des membres occupants peuvent toujours y bénéficier d’un supplément au loyer.

Puis, au début des années 1990, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney commande une évaluation des programmes gouvernementaux. Il en ressort que le programme des coopératives d’habitation est l’un des meilleurs sur le plan de l’atteinte des objectifs et de l’efficience coûts-résultats. Malgré ces résultats positifs, le gouvernement abolit le programme des coopératives d’habitation en 1993.

Ce n’est que le 22 novembre 2017 que le gouvernement fédéral effectuera un retour dans le domaine du logement, et du logement social, en adoptant la Stratégie nationale sur le logement qui comprend une enveloppe de 40 G$ répartie sur 10 ans en vue de financer une variété de programmes et d’initiatives. L’efficacité de la Stratégie reste encore à démontrer.


Montréal s’engage à son tour

Sous la gouverne du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal, le parti au pouvoir de 1986 à 1994, la Ville décide de jouer un rôle plus actif pour accroître et accélérer le développement de coopératives et soutenir la rénovation d’immeubles, notamment dans les quartiers anciens. À cette fin, elle crée ses propres programmes, dont :

  • le programme d’acquisition de logements locatifs (PALL) de 1989 à 1994;
  • Résolution Montréal de 1991 à 1995;
  • le programme d’habitation pour le sud-ouest de Montréal (PHASOM) de 1993 à 1996.

Le Québec prend la relève

Le Québec, lui aussi, avait expérimenté différentes formules pour assurer sur ses propres bases le développement de coopératives d’habitation. C’est ainsi que nous avons connu :

  • le Programme intégré québécois (PIQ) de 1984 à 1986;
  • le programme sans but lucratif privé (PSBL-P) de 1986 à 1993;
  • le programme d’achat-rénovation pour les coopératives et OSBL (PARCO) de 1995 à 1996.

Ces différents programmes, même ceux qui ont été de courte durée, ont permis la réalisation de plusieurs coopératives dans la région de Montréal.

Avant que le Parti Québécois prenne le pouvoir en 1994, des représentants du mouvement coopératif avaient pris l’initiative de rencontrer Bernard Landry, futur vice-premier ministre et premier ministre, pour lui proposer d’étendre à l’échelle du Québec le modèle de Résolution Montréal.

En 1996, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard convoque des États généraux auxquels il convie tous les secteurs de la société : milieu des affaires, syndicats, mouvement coopératif, organismes communautaires, mouvement des femmes, etc. L’objectif officiel est de réfléchir aux orientations économiques à donner au Québec dans l’optique de réaliser le « déficit zéro » sur le plan budgétaire.

Comme d’autres secteurs, la Confédération québécoise des coopératives d'habitation (CQCH) et l'ensemble du mouvement coopératif profitent des États généraux pour présenter des propositions. On avance ainsi la création du Fonds québécois d’habitation coopérative pouvant être alimenté grâce à l’équité financière dégagée par les coopératives selon le modèle du programme fédéral PHI. Ce dernier prévoit en effet que les coopératives se refinancent après 15 ans en profitant de la valeur ajoutée acquise par leurs immeubles.

L’idée de créer un tel fonds est retenue. Toutefois, par suite du lobby de différents secteurs, il échappe au mouvement coopératif et il devient le Fonds québécois d’habitation communautaire. Le secteur de l’habitation coopérative rate ainsi l’occasion de devenir plus autonome en se dotant de ses propres outils de développement.

Cela étant, le gouvernement québécois décide de prendre la relève du gouvernement fédéral en créant, en 1997, un programme plus audacieux de coopératives et d’OSBL en habitation, le programme AccèsLogis, toujours en vigueur. Grâce à ce programme, au 31 mars 2017, 30 475 logements avaient été construits et 5 329 étaient en voie de réalisation.

Travaux de construction de la Coopérative Fusion verte dans le quartier Mercier

Photo : Jean-Pierre Lacroix


En 2017 également, le gouvernement du Québec répond aux attentes de la Ville de Montréal en lui transférant la juridiction sur le logement. Il revient désormais à la Ville d’assurer le développement de logements sociaux. La création du Chantier de l’économie sociale, en 1999, est une autre retombée des États généraux.

Le programme AccèsLogis apporte une autre modification au calcul des loyers, qui n’est pas sans poser des difficultés. En effet, si 50 % des unités bénéficient du supplément au loyer, permettant à leurs occupant(e)s de ne payer que 25 % de leur revenu pour se loger, les autres membres non subventionnés doivent acquitter un loyer qui se situe dans la fourchette de « 75 % à 95 % du loyer médian du marché ».

Or, dans un marché hautement spéculatif et livré à l’embourgeoisement dans les quartiers centraux, les loyers dans les logements coops et OSBL atteignent désormais des niveaux assez élevés, de moins en moins accessibles aux ménages à revenu modeste.


LE MOUVEMENT DE L’HABITATION COOPÉRATIVE SE STRUCTURE

Les fédérations régionales et la Confédération québécoise

Le développement des coopératives donne lieu à la constitution de fédérations régionales, la première étant apparue en 1977 dans les Cantons de l’Est. Les fédérations de Montréal et de la Montérégie naissent en 1983. Les fédérations régionales se regroupent en 1987 à l’intérieur d’une confédération, la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH).

Celle-ci compte aujourd’hui six fédérations régionales dans ses rangs : Québec-Chaudière-Appalaches, Estrie, Outaouais, Montégérie, Mauricie – Centre du Québec et Saguenay – Lac St-Jean. La FECHIMM, qui a contribué à la fondation de la CQCH, s’en est désaffiliée le 3 octobre 2014 par suite de différends concernant ses orientations et sa gouvernance. Plusieurs de ces fédérations ont en outre intégré le GRT régional.

La FECHIMM

Pour sa part, la FECHIMM représente près de la moitié des coopératives d’habitation du Québec, en comptant 626 dans son territoire. Depuis 2002, la FECHIMM a étendu son action à Laval ainsi qu’aux MRC de Deux-Montagnes, Mirabel et Thérèse-de-Blainville dans les Basses-Laurentides et, en août 2016, à celles de Les Moulins et de l’Assomption dans la région de Lanaudière. On compte, dans le territoire de la FECHIMM, quatre GRT autonomes et un GRT associé, le Réseau 2000+.

Avec plus de 470 membres, la FECHIMM regroupe 75 % des coopératives d’habitation du territoire régional, soit près de 13 000 ménages coopérants. La valeur de l’actif immobilier combiné des membres de la Fédération dépasse le milliard de dollars, ce qui en fait l’un des plus importants acteurs immobiliers résidentiels de la grande région montréalaise. Elle constitue la plus grande fédération au Canada en termes de nombre de coopératives. Elle représente près de la moitié du secteur des coopératives d’habitation au Québec.


La Fédération de l’habitation coopérative du Canada (FHCC)

Rassemblement de membres de coopératives d'habitation à Ottawa en 2014 dans le cadre de la campagne "Vous détenez la clé" de la FHCC.


L’habitation est le seul secteur coopératif qui est structuré à l’échelle du Canada, alors que les autres secteurs sont uniquement structurés au niveau du Québec. Cela s’explique par le fait que la majorité des coopératives d’habitation se sont développées en vertu de l’un des trois programmes fédéraux en vigueur entre 1973 et 1993 et que bon nombre d’entre elles sont toujours liées par un accord d’exploitation ou convention à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). La Fédération canadienne, fondée en 1978, agit donc comme porte-parole de ces coopératives auprès du gouvernement fédéral. C’est pourquoi la FECHIMM est membre de la FHCC.


La coopération à l’échelle internationale

Visite d'une délégation de la FECHIMM et d'Abri international au Kenya en 2003.


Conformément au sixième principe coopératif qui encourage la coopération entre coopératives, le mouvement coopératif en habitation s’est engagé dans la solidarité internationale. À cette fin, il s’est doté en 1984 d’un organisme ayant pour mission de promouvoir la coopération internationale. Il s’agit de la Fondation Abri international – Rooftops Canada Foundation qui met à profit l’expertise technique acquise dans le mouvement coopératif canadien pour contribuer au développement de logements à prix modique et d'établissements humains partout dans le monde, principalement en Afrique.

La FECHIMM s’associe au travail d’Abri international en étant jumelée, depuis 2004, avec la National Co-operative Housing Union (NACHU) du Kenya. Elle a accordé à cette dernière des prêts en 2004 et 2006 pour soutenir la réalisation de logements. Puis, en 2016, à la suite de la visite au Québec du président de NACHU, Francis Kamande Kamau, et de sa directrice générale, Mary Mathenge, un nouveau prêt a été consenti pour contribuer à la création d’une entreprise d’approvisionnement et de distribution d’eau pour la coopérative Three Heights de Nairobi.


APPARTENANCE À L’ENSEMBLE DU MOUVEMENT AU QUÉBEC

La FECHIMM loge dans la Maison de la coopération du Montréal métropolitain (MC2M) avec plusieurs autres organismes des secteurs de la coopération et de l’économie sociale.

La Maison de la coopération du Montréal métropolitain au 7000, avenue du Parc


Elle est membre du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité qui est l’instance représentant tous les secteurs coopératifs et ceux de la mutualité. Et elle fait également partie du Chantier de l’économie sociale qui, de son côté, regroupe les organismes coopératifs et sans but lucratif de différents secteurs. La mission du Chantier de l’économie sociale est de promouvoir l’économie sociale comme partie intégrante de l’économie plurielle du Québec et, ce faisant, de participer à la démocratisation de l’économie ainsi qu’à l’émergence de ce modèle de développement basé sur des valeurs de solidarité, d’équité et de transparence.


ET L’AVENIR?

Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement canadien prévoit adopter prochainement une loi afin de garantir le droit au logement. Quant au Québec, un nouveau parti, la Coalition Avenir Québec, vient d’être élu. Mais pour la première fois depuis 1977, un parti politique n’a pris aucun engagement en lien avec le développement de logements sociaux et communautaires. On ignore donc ce que l’avenir nous réserve.


Notes compilées par Louise Constantin – Décembre 2018
Recherche visuelle et mise en page par Richard Audet