Conflits : Des pistes à suivre

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Par Jeanne Hubert
Formatrice à la FECHIMM

Jeanne Hubert est une référence dans le mouvement coopératif. Intervenante psycho-sociale, formatrice et médiatrice, elle est membre d’une coopérative d’habitation depuis 35 ans. Depuis plus de 10 ans, elle donne à la FECHIMM et en coopérative les ateliers Communication, Résolution de conflits et Introduction à la médiation. Elle présente ici quelques réflexions sur les causes des conflits et sur les moyens de préserver ou d’assainir le climat dans les coopératives d’habitation.


Pourquoi des conflits en coop ?

Il y a de multiples facteurs qui favorisent les conflits dans une coop d’habitation, comme dans d’autres milieux d’ailleurs.

Dans la plupart des cas, nous sommes confrontés à des différences qui engendrent du stress. On peut penser aux réalités, origines, personnalités, buts, intérêts, valeurs, points de vue… et à une foule d’autres caractéristiques qui nous distinguent toutes et tous.

Ce n’est pas de la mauvaise volonté qui nous mène au conflit, c’est plus souvent un manque de compréhension de la réalité de l’autre. Des faiblesses sur le plan de l’écoute, de la communication et de la gestion des relations créent des conditions favorables au développement des conflits.

Le plus difficile pour plusieurs, moi y compris, est d’assumer nos émotions et de les exprimer adéquatement. Or, dans les coopératives, on s’imagine trop souvent qu’on n’a pas à s’occuper des malaises ou des sentiments des membres, parce qu’on est là pour gérer un immeuble.

Erreur! Sans espace de dialogue interpersonnel et en groupe, les malentendus, les fausses perceptions et les projections brouillent la communication et sèment la confusion. La contamination émotive ajoute à la problématique, et trop souvent des clans se forment. La pensée binaire ou duelle (si j’ai raison, tu as tort ; si tu es gagnant, je suis perdant…) joue aussi pour beaucoup dans les conflits.

Les situations complexes demanderaient de consentir à un processus de résolution de problème gagnant-gagnant, ou du moins à un compromis honorable, au lieu de s’empêtrer dans des rapports de pouvoir. Pour cela, il faut accepter de voir la complexité des choses et entrer dans un dialogue constructif en faisant appel à toute l’intelligence émotionnelle, créative et rationnelle possible. C’est la voie qu’offrent le dialogue et la médiation.

C’est d’autant plus nécessaire que nous gérons collectivement notre milieu de vie. Le fait de vivre une proximité quotidienne, de partager nos territoires physiques, auditifs, visuels et olfactifs crée de multiples occasions de frottements.


Considérer les bienfaits des conflits

Il faut dédramatiser le fait d’avoir des différends. Ils sont normaux et inévitables. En général, les gens associent le terme conflit à des mots négatifs comme chicane, lutte, rapports de pouvoir, douleurs, enfer…

Pourtant, les conflits ont aussi des aspects positifs. Ils font ressortir nos différences, qui sont réelles. Des conflits peuvent naitre entre des personnes gentilles, intelligentes, sensibles, bien intentionnées, motivées… On peut avoir un conflit d’idées, de perceptions, d’opinions, mais ce n’est pas obligé de dégénérer dans la douleur et l’antipathie. Le dialogue et un processus rigoureux de résolution de problème peuvent permettre d’établir un pont entre les rives de nos univers parallèles.

Par ailleurs, si deux personnes se font toujours croire que tout est beau pour ne pas faire de vagues, qu’elles pensent pareil, même si ce n’est pas le cas, les frustrations légitimes vont s’accumuler et un jour ou l’autre le conflit va émerger.


Respecter la logique de l’autre

Nos attentes à l’égard des autres sont souvent trop élevées ou irréalistes. La croyance erronée la plus courante consiste à supposer que l’autre, tout naturellement, pense comme nous, qu’il a la même logique, les mêmes connaissances, les mêmes besoins, la même intention… Et dans le contexte coopératif, qu’il devrait avoir la même façon que nous de voir tous les aspects du fonctionnement de la coop.

Nous avons aussi tendance à associer une personne à un comportement ou à son opinion, parce que faire autrement est trop compliqué et parce que ça nous autorise à justifier l’expression de nos sentiments négatifs. Nous pouvons ne pas aimer la position ou le comportement d’une personne, mais de là à conclure que c’est une mauvaise personne à qui nous pouvons manquer de respect, il y a un raccourci qu’il vaut mieux éviter.


Se donner des règles claires

Des règles du jeu communes, élaborées ensemble, discutées, approuvées, appliquées de façon juste, à la fois rigoureusement et humainement, peuvent aider à prévenir les conflits. Un code d’éthique, des règles claires quant aux langages acceptables en AG ou en comité et des politiques relatives à l’attribution des logements et d’autres avantages sont autant d’exemples d’outils favorisant des rapports plus harmonieux.


Concilier efficacité et gestion des conflits

Dans les coopératives, on veut une gestion efficace et ne pas s’empêtrer dans les conflits. Pas le temps de niaiser avec ça! On n’est pas une garderie, disent certains.

Pourtant, faire fi du facteur humain et relationnel n’est pas efficace. Quand dans une coop, un avocat ou la police est appelé, quand la mise en demeure entre en jeu, quand la démission, l’exclusion sont au programme, on n’épargne pas de temps ni d’énergie.

Les dommages collatéraux sont importants pour celles et ceux qui sont témoins ou acteurs du scénario catastrophe : burn-out, insécurité, démotivation…

Quand on peine à composer un CA ou des comités, parce que plusieurs personnes ne veulent plus être mises en contact, on subit les conséquences d’une culture organisationnelle où l’on ne sait pas prendre en compte les conflits.


Ne pas confondre décision légale et bonne décision

L’application trop stricte des règlements de la coop et de la Loi sur les coopératives, si elle exclut les considérations humaines, est parfois inappropriée, sinon violente. Ça ne favorise pas nécessairement le projet de la coopérative et ne respecte pas automatiquement l’esprit de la coopération. Des membres fâchés ou indignés ne seront pas aptes à collaborer de façon positive.

Il y a une différence entre le légal et le moral. Ce n’est pas parce qu’une décision est légale, ou votée à la majorité, qu’elle est automatiquement juste ou qu’elle va dans le sens de la justice, du bien commun et qu’elle favorise la mobilisation des troupes.

Prendre des décisions sans consulter, en disant aux membres d’organiser une assemblée s’ils ne sont pas satisfaits favorise trop souvent l’émergence de positions antagonistes, la contestation et les rapports de pouvoir.


Se donner des règles de vie

Créer ensemble un climat poli et convivial peut aider à prévenir les conflits. Saluer chaque personne croisée, même celles qui ont voté contre ma proposition ou avec lesquelles j’ai eu un désaccord en comité, peut aider à prévenir et à apaiser les tensions. Les civilités de base avec de nouveaux membres sont aussi des apprivoisements.

Si j’arrive à la coop les bras chargés de paquets et que tu me salues et m’ouvres la porte, on risque de pouvoir s’en parler plus facilement si on a un problème avec le bruit par exemple.

Au contraire, l’évitement met déjà dans une position peu propice au dialogue. On installe une distanciation prudente pouvant indiquer à l’autre qu’on n’a pas le goût de lui parler, que sa réalité ne nous intéresse pas ou qu’il nous fait peur.


Éviter la contagion émotive

Quand la personne qu’on appelait par son nom devient chose en haut, l’immigrant d’à côté, la parvenue, le BS ou pire encore, on peut prévoir que la crise éclatera tôt ou tard. Il ne manque qu’un prétexte. Réduire son stress en parlant contre une personne, en la caricaturant, en salissant sa réputation auprès des autres membres ou en en faisant un bouc émissaire est contreproductif, voire dangereux.


Valoriser les membres

Les gens disent souvent : nous ne sommes pas dans la coop pour nous congratuler. Pourtant, ça peut faire une différence de savoir reconnaitre l’apport d’une personne ou d’un comité. Le besoin d’être estimé est naturel chez les humains. Si l’on dit à un membre ce qui nous déplait, qu’on le critique, mais qu’on ne dit jamais rien lorsqu’il participe de son mieux, qu’est-ce qu’on nourrit ? La motivation se nourrit de la satisfaction que j’ai du travail accompli, mais aussi de la réaction du milieu.


Accepter la critique et la divergence d’opinions

Si dans une coop, il y a davantage d’ouverture à entendre les insatisfactions, les objections, les besoins, les désirs, il y aura beaucoup moins d’émotions négatives accumulées. Malheureusement, on a souvent de la difficulté à laisser les gens exprimer leurs idées et leurs sentiments de façon régulée.

Si quelqu’un dit : je n’aime pas cette situation ou je ne suis pas en accord avec ceci, je vois les choses différemment, on va souvent invalider son point de vue ou lui répondre : tu n’es pas coopératif, tu es dans le champ… ou pire encore.

Un membre a le droit de s’exprimer s’il demeure respectueux. Affirmer son désaccord, tenter de s’informer, faire valoir des arguments ou d’autres points de vue ne devrait pas nous mériter le bonnet d’âne du mauvais membre. Le droit à la dissidence fait partie d’une réelle démocratie et de la Charte des droits et libertés de la personne. C’est au-dessus des règlements de la coop et de la Loi sur les coopératives.

Il existe toutes sortes de moyens de permettre aux opinions et points de vue différents de s’exprimer avec plus de bénéfices que de désagréments. La consultation, les rencontres d’échanges et d’information, la place au débat régulé, des espaces de dialogue, des processus de résolution de problèmes, les boîtes de suggestions, les assemblées animées par des personnes de l’extérieur expérimentées et la médiation en font partie.


Faire place aux débats

Le manque de consultation, d’espace de parole et d’échange favorise l’émergence des conflits. Lorsqu’on aborde un sujet litigieux en coop, peut-on se donner le temps de réfléchir et d’aller chercher des informations, trouver des experts, un pour et un contre, et offrir l’occasion à chacun de faire valoir ses arguments afin qu’on cherche des solutions ensemble?

La démocratie appliquée strictement par vote à la majorité a ses limites. Quand une décision est prise à 51 pour et 49 contre, ça peut laisser des marques. Il y aurait de nombreux avantages à tendre vers un mode de réflexion et de prise de décision plus sociocratique, un processus dans lequel on prend les opinions de tout le monde pour ensuite tenter d’établir la décision la plus rassembleuse. Beaucoup plus de membres peuvent alors se sentir davantage satisfaits et plus motivés à appliquer les décisions.

La paix, en milieu coopératif, comme dans tous les milieux, est une création collective, et nous en sommes coresponsables.


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