Coopérative Tiohtiake : Un modèle à inventer

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La Coopérative Tiohtiake, un ensemble de 81 logements dans le quartier Griffintown, a accueilli ses premiers membres locataires à la fin 2014. En plus des difficultés propres à tout nouveau projet, la coop doit composer avec un niveau de participation relativement faible et la quasi-absence de modèle de gestion adapté à la réalité des grandes coopératives. Face à ce défi, le conseil d’administration cherche encore les meilleures solutions.

La coopérative nouvellement construite partage un immeuble avec un complexe de copropriétés au coeur d’un secteur qui ressemble encore à un vaste chantier immobilier. Le président de la coop, Jean-Pierre Bégin y voit une réussite de la stratégie d’inclusion de la Ville de Montréal. Il n’en est pas moins conscient des défis auxquels la coop en démarrage fait face. « La première année, ce n’est pas facile. Non seulement la coopérative est grosse, mais c’est aussi difficile de rejoindre tout le monde et on n’a pas vraiment d’espace communautaire », explique-t-il.

Pour lui, aucun doute, on ne peut gérer une coop de 81 logements comme on en gère une de 12 logements. « Donc, étant donné qu’il n’y a pas beaucoup d’exemples actuellement, on invente, on s’adapte... Il nous faut être très créatifs. On a essayé des choses qui n’ont pas marché, maintenant on en essaie d’autres.»

Force est d’admettre, en écoutant le récit des membres rencontrés, que les difficultés n’ont pas manqué pour la coop depuis ses débuts. Entre les déficiences propres à tout nouveau projet, les difficultés liées à la présence d’une usine juste à côté, les impacts sur la qualité de vie des travaux de construction dans le voisinage, l’apprentissage de l’autogestion par le conseil d’administration, avec la fin du mandat d’accompagnement du GRT, n’a pas été facile.

Au point où tous les administrateurs du conseil d’administration initial, à l’exception de l’actuel vice-président, ont choisi de démissionner. « Les gens ont été désabusés, j’ai perdu tous les membres du CA, j’ai trouvé ça très malheureux. Repartir à zéro a été particulièrement difficile », raconte Patrick Mercado, vice-président de la coop. Pour aider les coopératives en démarrage comme la sienne, Patrick Mercado pense que les budgets des projets devraient prévoir une enveloppe permettant de couvrir des services d’aide à la gestion et de formation, après la fin du mandat du GRT.

Vu les circonstances, le nouveau président Jean-Pierre Bégin pense tout de même que la coop a bien fait. « Après deux ans, qu’on soit encore à flot, qu’on ne soit pas en tutelle, que les finances soient saines, que tout roule comme ça roule présentement et que le ménage soit fait, je trouve qu’on est bon! Je félicite l’ensemble des membres. L’effort est du domaine collectif. »

En photos: Jean-Pierre Bégin, président, Patrick Mercado, vice-président, et Olga Arteau Vandamme, secrétaire.

Des problèmes de participation

Reste que, comme dans bien des coopératives d’habitation, la participation pose problème. La secrétaire de la coop, Olga Arteau Vandamme, avait imaginé une autre réalité. « Moi, dans ma tête, la vie en coopérative c’était un groupe d’individus qui allaient se réunir pour travailler pour la collectivité. Ça été un grand désappointement de me rendre compte qu’il y a des gens comme ça, mais du fait qu’on soit si grand, il y a beaucoup de gens pour qui c’est la personne, l’individu qui compte en premier », déplore-t-elle.

Devant cette réalité, les administrateurs rencontrés ne s’entendent pas encore sur la formule à privilégier pour susciter l’engagement d’un plus grand nombre de membres. Le président mise d’abord sur un processus de motivation. « Pour l’instant, la participation n’est pas à 100 %, pourtant ça fonctionne. Dans l’état actuel des choses, ce qui est important c’est de travailler avec ceux qui veulent travailler », dit-il.

Olga Arteau Vandamme n’est pas de cet avis. Elle juge essentiel que chaque membre s’implique. « Quand on signe notre contrat de membre, on est obligé chacun son tour de s’occuper de l’entretien des espaces communs. Donc à 81 logements, tu ne peux pas te permettre de ne pas sortir tes vidanges », soutient-elle.

Au-delà d’un engagement plus généralisé des membres qu’il souhaite également, Patrick Mercado convient que l’entretien d’un grand immeuble moderne ne peut se faire uniquement par l’action des locataires. « C’est sûr que, quand on parle des systèmes de ventilation sur le toit et des pompes souterraines que nous partageons avec la copropriété voisine, on doit travailler avec eux pour les contrats. On ne peut pas tout faire seul », dit-il.

Cela dit, tous s’entendent pour exclure la possibilité d’engager un concierge pour assurer l’entretien de la coop. Le recours à des ressources externes en appui n’est cependant pas écarté. La coop évalue d’ailleurs la possibilité de confier sa tenue de livres à la FECHIMM.

Un grand potentiel

Si le défi de mobiliser est bien réel, le président voit aussi tout le potentiel que recèle un groupe de cette importance. « ‘Vous imaginez la force collective qu’il y a derrière ça, au niveau social, pour les pressions politiques et pour les achats ». Sur le plan économique, Jean-Pierre Bégin pense notamment aux économies que les membres pourraient réaliser pour leur connexion Internet.

L’influence que la coopérative peut obtenir dans sa communauté est également bien servie par sa grandeur et sa capacité de mobiliser sa base, croit-il. Il en veut pour preuve l’écoute qu’il a pu obtenir auprès de l’arrondissement du Sud-Ouest. « Ici, on a réussi à avoir quasiment 80 signatures quand on a fait signer une pétition. Quand je me suis présenté à l’Hôtel de Ville pour déposer la pétition et parler de la cohabitation qui était difficile à cause des problèmes de bruit et de fumée, on nous a écoutés », dit-il.

Olga Arteau Vandamme, déléguée par la coop au sein de la Coalition de la Petite Bourgogne, un regroupement d’organismes communautaires du Sud-Ouest, fait un constat similaire. « Le fait qu’on soit 81 membres, tu t’assois là en tant que bénévole, tu as un pouvoir de discussion, les gens t’écoutent plus », dit-elle.

L’important bassin de membres d’une grande coop favorise aussi le succès de ses activités, croit le président. « Si tu décides de faire une épluchette de blé d'Inde, dans une petite coop, si trois membres participent, il n’y aura pas grand monde. Dans une grande coop, tu es sûr qu’il y aura au moins 10 personnes. C’est aussi vrai pour les corvées. »

Parmi les clés du succès pour l’avenir, Jean-Pierre Bégin pense qu’il faut miser sur des rapprochements entre les membres. « Il faut créer une convivialité autour de la coop, de façon à ce que les gens se parlent, échangent. Et moi, à la prochaine assemblée générale, c’est, je crois, ce que nous devons faire. »

  • Tiohtiake est un nom mohawk qui veut dire « là où les rivières se divisent et s’unissent ». Il fait référence à la géographie de la grande région montréalaise.

  • Pour mieux rejoindre ses membres, la coop s’est récemment dotée d’un site web qu’on peut consulter au http://tiohtiake.com.


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