Coopérative Village Cloverdale : À l’échelle d’une communauté

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Avec ses 866 logements répartis dans 58 immeubles, la Coopérative Village Cloverdale de Pierrefonds est la plus grande au Canada. L’ensemble qui regroupe quelque 4000 habitants d’une cinquantaine de nationalités a peu en commun avec la majorité des coopératives du territoire, dont le nombre moyen de logements se situe à 22. Qu’importe, il s’agit bien d’une coopérative d’habitation et d’un projet qui enrichit sa communauté, nous disent ses dirigeants et les membres rencontrés.

Samedi 27 août, le temps est au beau fixe pour la journée communautaire annuelle de la Coopérative Village Cloverdale. Le terrain de basket-ball du quartier, transformé en immense piste de Zumba, accueille une foule d’enfants. Ailleurs sur le site, certains participent à leur première épluchette de blé d’Inde alors que d’autres exposent une kyrielle d’objets qu’ils souhaitent écouler dans le cadre d’une grande vente de garage.

Le temps est à la fête et les élus locaux se font un devoir d’y faire une visite. Le maire de l’arrondissement, le député fédéral et même le ministre des Finances du Québec, le député Carlos Leitão, sont du nombre. Pour la directrice générale, Hélène Ciabu Kalonga, le fait d’être une grosse coop aide Village Cloverdale. « On parle de 800 ménages, 1600 électeurs et, avec les grands enfants plus de 2000 électeurs. Toute personne qui fait de la politique a intérêt à nouer des relations avec une telle clientèle », dit-elle.

La force politique de la coop est indéniable, pense également le président du conseil d’administration, Samuel Gnali. « Plusieurs autorités ont une oreille attentive quand vous posez un problème. Vous avez un poids considérable sur le plan des discussions, ce qui n’est pas négligeable. »

En photos: Hélène Ciabu Kalonga, directrice générale, et Samuel Gnali, président du conseil d’administration

Une grande coop peut aussi mieux agir sur les conditions de vie de tout un quartier, selon Suzanne Beaudoin, membre fondatrice de la coopérative. « Quand on a fondé la coop, on avait beaucoup de problèmes de drogues et de gangs. Tranquillement, ça s’est passé. On a notre propre groupe pour la sécurité qui fait des visites partout tous les soirs », dit-elle.

Les avantages d’une grande coop sont aussi économiques, disent les dirigeants de Village Cloverdale. Meilleur pouvoir de négociation, économies pour l’achat de produits et services comme l’assurance... la coop y gagne à coup sûr selon sa directrice générale. « Au niveau des charges, nous réalisons une énorme économie d’échelle. On les négocie sur le plan global, on obtient de meilleures conditions que si nous allions négocier pour 10 ou 20 logements », raconte Hélène Ciabu Kalonga.

Cela dit, la coop ne peut se gérer en misant seulement sur l’autogestion comme c’est le cas dans la majorité des coopératives d’habitation, convient la directrice générale. L’impact de ce mode de gestion sur les finances de la coopérative est toutefois minime. « On ne ressent pas beaucoup d’impact, parce que cette charge est partagée par plusieurs logements, assure-t-elle.

Pour le président Gnali, la décision de professionnaliser la gestion de la coopérative est incontournable. « On ne veut pas souvent l’entendre, mais c’est une entreprise qu’on gère. Elle ne fait pas de bénéfice, mais elle doit fonctionner, il lui faut avoir une certaine rigueur. Au-delà de 200 logements, il faut vraiment engager des professionnels », juge-t-il.

Est-ce que l’esprit coopératif peut s’épanouir dans une si grande coop ? À la question, Martha Muir, fondatrice et première présidente de la coopérative, hésite. « À certains moments, dit-elle, j’ai pensé que c’était vraiment trop gros, mais d’autres fois, je me dis qu’il faut simplement prendre le temps et encourager tout le monde à participer. »

Sur la photo: Martha Muir et Suzanne Beaudoin, membres fondatrices

Le président est aussi conscient des difficultés à faire adhérer tous les membres au projet de la coop. « Il n’y a pas la même proximité que dans les petites coops qui sont comme des familles; mais cette proximité, nous pouvons la développer dans chaque immeuble. C’est cette dimension que nous voulons mettre de l’avant maintenant », explique Samuel Gnali.

Hélène Ciabu Kalonga ne croit pas, pour sa part, que le choix fait à l’époque par la majorité des membres de créer une grande coop plutôt que plusieurs petites soit néfaste. « Ça n’a pas dénaturé la relation humaine, la relation de coopération entre membres. Au contraire, ça renforce. En dehors des relations de coopérants, il se noue des relations familiales », soutient-elle.

Alors que plusieurs petites coopératives sont confrontées à des difficultés, la directrice générale de Village Cloverdale croit également que la structure d’une grande coop est bénéfique. « Quand vous avez une grande coop comme la nôtre, on a plusieurs projets (immeubles) et les projets qui sont en mauvaise situation se sentent soutenus par les autres qui vont mieux », dit-elle.

La participation de tous les membres aux tâches demeure cependant un défi à Cloverdale comme dans la plupart des coops. L’attribution des tâches au niveau des immeubles est une des solutions mises en place. Une forme d’asymétrie en matière de gestion immobilière est aussi pratiquée.

« Dans certains projets, les gens font eux-mêmes les tâches, alors qu’ailleurs, nous avons des concierges. On s’adapte en fonction de l’engouement des gens. Bien sûr, cette approche a un impact sur le prix du loyer. Ceux qui ont un concierge n’ont pas le même rabais que les autres », précise Samuel Gnali.

À l’heure où la peur de l’autre gagne du terrain un peu partout sur la planète, le président de la coop qui regroupe des représentants de plus de 50 nationalités dresse un bilan positif de l’expérience vécue à Pierrefonds. « Les gens arrivent à cohabiter, ils se respectent les uns les autres. Je ne dis pas que tout est parfait, mais on n’a pas de grand trouble », affirme-t-il.

Tout aussi convaincue de la valeur du mode de fonctionnement de Village Cloverdale, Hélène Ciabu Kalonga a une mise en garde pour les autres grandes coops en quête de modèle. « Le piège à éviter, dit-elle, c’est de rechercher les accommodements à tout prix. Les passe-droits vont nuire à la gestion, il faut que le règlement s’applique à tous quelles que soient l’origine, la culture ou les pratiques religieuses. »


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