Train de la vie : Un projet au long cours

Large tran de la vie 01

La coopérative de solidarité du Train de la vie de Deux-Montagnes accueillera ses premiers membres-locataires au début de l’été. Il se sera écoulé 14 ans entre la naissance de l’idée et la concrétisation du projet. Sa réussite résulte assurément de la résilience du groupe porteur et de l’appui indéfectible de la Ville au projet.

L’interminable processus de réalisation de la coopérative de 35 logements met toutefois en lumière la grande difficulté de réaliser un projet viable avec le financement et les contraintes des programmes gouvernementaux.


C’est en 2009 que l’idée de réaliser un projet de logement communautaire dans la MRC de Deux-Montagnes voit le jour. L’Association de promotion et d’éducation en logement (APEL) présente alors les résultats d’une recherche-action effectuée dans la région lors d’un colloque régional sur le logement avec la collaboration de la Fédération.

Les conclusions de la recherche sont claires. La région est aux prises avec une pénurie de logements qui n’a fait que s’amplifier depuis le début des années 2000.

L’évènement débouche sur la création du comité action-mobilisation. Son objectif est de mettre en place au moins un projet de logement communautaire dans la MRC de Deux-Montagnes.

Des préjugés contre le logement communautaire

Comme pour la plupart des projets, la recherche d’un terrain, étape cruciale, est longue et ardue. La démarche est d’autant plus complexe que la nécessité de développer du logement communautaire est loin de faire consensus dans le secteur.

Serge Gilbert, président du conseil d’administration de la coopérative et coordonnateur d’APEL, se souvient de commentaires entendus de la part d’élu.e.s réfractaires au projet.

« On ne veut pas de ces gens-là dans notre ville, lui a dit la mairesse d’une ville de la région qui craignait alors d’attirer des personnes et des familles à faible revenu. Un autre maire du secteur est allé encore plus loin. Il m’a demandé : Pourquoi tu fais ça? On n’a pas de pauvres dans la ville . Il a fallu que je leur fasse la démonstration qu’il y avait déjà des pauvres dans leur ville. »

Carole Bourdon, vice-présidente, et Sege Gilbert, président du conseil d'administration de la coopérative de solidairité du Train de la vie.


L’appui de Deux-Montagnes

L’appui municipal viendra de la Ville de Deux-Montagnes et de son maire, Denis Martin. L’influence de son épouse, qui a vécu en coop, est sans équivoque. « Quand nous l’avons rencontré, il nous a dit : J'appuie votre projet. Ma femme, si elle s’en est sortie, c'est parce qu’à un moment donné, elle a eu la chance d'habiter dans une coopérative », raconte Serge.

L'implication exemplaire de la Ville de Deux-Montagnes doit être soulignée, insiste-t-il. « Non seulement la Ville a accepté de couvrir la contribution à la mise de fonds du milieu de 15 %, elle nous a aussi accordé des crédits d'impôt et nous a cédé une partie du terrain pour la somme symbolique d’un dollar ».

La coopérative de solidarité du Train de la vie de Deux-Montagnes


Des unités disponibles

C’est l’abandon d’un projet de phase 2 par un OSBL de la région aux prises avec des difficultés financières qui ouvre finalement la voie à la réalisation de la coopérative.

« On a récupéré les 47 unités qui étaient déjà accordées par la SHQ. Et c'est ainsi qu'on a créé, avec l'aide du GRT Réseau 2000+, la coopérative de solidarité du Train de la vie », relate Serge.

Un budget inadéquat

Carole Bourdon, vice-présidente du CA, se joint au groupe en 2015. La jeune retraitée ne s’imagine pas alors que son implication dans le projet s’étendra sur presque une décennie. Au sein du groupe, elle mesure l’ampleur du défi financier.

« Le projet a été vacillant pendant plusieurs années. Financièrement, c'était impossible. Le financement d’AccèsLogis ne permettait absolument pas de réaliser le projet. Le calcul était fait à partir de coûts de construction qui étaient complètement dépassés. Et c'était impossible de trouver du financement », raconte Carole.

La solution viendra finalement d’une initiative fédérale découlant de la Stratégie nationale sur le logement. Un financement de la SCHL dans le cadre de l’Initiative pour la création rapide de logements (ICRL) permettra de compléter le montage financier et de construire l’immeuble.

Les membres du conseil d'administration de la coopérative de solidarité du Train de la vie de Deux-Montagnes


Des plans à revoir en plein chantier

Mais les ennuis ne sont pas terminés. Alors que la construction a débuté et que les fondations ont été coulées, la coop réalise que les plans ne tiennent pas compte de la présence de poteaux électriques à proximité de l’immeuble.

L’impossibilité de déplacer les poteaux dans le boisé protégé qui jouxte le futur immeuble et des négociations infructueuses avec un voisin pour une servitude créent une impasse.

Le projet, limité à six étages selon les normes municipales, doit donc être revu. Le chantier est stoppé pendant plusieurs mois. Pour se conformer aux contraintes réglementaires, il faut alors amputer douze logements à la coopérative. Les travaux reprendront en 2022.

Fin février, la coop du Train de la vie peut enfin entreprendre la sélection des membres-locataires, dont 80 % pourront bénéficier d’un logement à loyer modique. « L'objectif est de faire signer les baux au plus tard à la fin du mois de mars, compte tenu des contraintes de temps pour les locataires », explique Serge.

À la défense d’AccèsLogis

Malgré toutes les embuches et les limites maintes fois démontrées d’AccèsLogis, il déplore la décision de Québec de mettre fin au programme. « Condamner à mort ce programme est la pire erreur que pouvait faire le gouvernement. Sans AccèsLogis, je pense qu'il n'y aura plus de projets de logements communautaires. »

Selon lui, le nouveau Programme d'habitation abordable Québec (PHAQ), qui met en compétition des organismes communautaires et des promoteurs privés, se soldera toujours à l’avantage du privé qui dispose de ressources financières importantes auxquelles les organismes communautaires n’ont pas accès.

Carole, qui en était à sa première expérience de développement, déplore les longs délais et les tracasseries liées au programme. « J’ai la conviction que des projets sont abandonnés, parce que les gens sont à bout de ressources. Même dans notre équipe, à un moment donné, nous étions rendus à un tel niveau de stress que j'avais démissionné en novembre 2021 ».

L'iniative Plancher est saluée par le président du CA. « Ça va autonomiser le secteur de l'habitation communautaire, particulièrement les coopératives. Je trouve ça très beau, mais en même temps, le gouvernement ne peut pas se désengager de ses responsabilités », dit Serge.

Un nouveau projet dans les cartons

Lui et Carole ne résideront pas à la coopérative. Leur implication dans le projet ne visait pas à répondre à leurs besoins personnels. Elle témoigne plutôt d’un engagement que les deux entendent poursuivre dans un nouveau projet de coopérative d’habitation dans la région.

Et encore là, la partie ne s’annonce pas facile. Le PHAQ n'a absolument pas de bon sens, fustige Serge. « Je suis en train de travailler notre projet de coopérative l'Oasis et nous n’avons aucune possibilité de financer le démarrage de l'organisme. Abandonner Accès Logis tue l’initiative ! »


APEL

APEL joue un rôle similaire à celui des comités logement dans la région des Laurentides. L’Association a pour mission d’assurer la promotion et la défense des droits collectifs et individuels des locataires.

Depuis 2020, APEL dont l’action se limitait auparavant à la MRC de Deux-Montagnes a été reconnue comme organisme régional desservant toute la région des Laurentides.

Serge Gilbert est le coordonnateur d’APEL depuis 2007. Haïtien d’origine, cet ancien prêtre et enseignant est au cœur de la mobilisation du milieu qui a permis la réalisation du projet. Il préside le conseil d’administration de la coopérative du Train de la vie.


Tiré de l'article publié dans le magazine CITÉCOOP - Volume 10, numéro 19 | Printemps 2023