Article publié dans l'édition d'automne 2022 du magazine CITÉCOOP - Volume 9, no 17
Par Richard Audet, conseiller en communication
Le 6e principe coopératif, celui-là même que les coopératives ont mis à profit lors de la création de la Fédération en 1983, suscite toujours un grand intérêt parmi les membres des coopératives d’habitation.
Alors que la vie associative reprend sa place au cœur des activités de la FHCQ avec l’entrée en fonction d’un directeur de la vie associative et de la gouvernance, des membres de coopératives du quartier Saint-Henri ont répondu cet été à l’invitation de la Fédération et de la coopérative Manoir Bourget.
Le 25 août dernier, une vingtaine de coopérant.e.s ont participé à un BBQ/épluchette de blé d’Inde dans la cour de la coopérative. Le repas communautaire avait pour objectif d’échanger sur les possibilités de collaboration entre les coopératives du secteur et sur le rôle que peut jouer la Fédération pour favoriser les rapprochements, voire la mise en commun de ressources entre les coopératives d’un quartier ou d’une région.
Le rendez-vous a surtout permis de briser la glace. Parce que, pour intercoopérer, il faut d’abord se rencontrer et apprendre à se connaitre, les participant.e.s. ont profité de l’occasion pour jeter les bases d’une relation à construire entre les coopératives du quartier et d’ailleurs.
L’appui d’une délégation de l’Intercoop du Plateau Mont-Royal, le groupe le plus résilient à Montréal dans le secteur de l’habitation, a été précieux. Il a permis de stimuler la réflexion et les échanges autour d’un principe incontournable pour la vitalité du mouvement de l’habitation coopérative, mais qui n’est pas toujours aisé à mettre en pratique.
Le CITÉCOOP vous propose un retour sur les échanges tenus au cœur d’un quartier mythique où l’habitation coopérative fait partie du rempart contre les effets néfastes de l’embourgeoisement.
La coopérative d’habitation Manoir Bourget (65 logements) au cœur du quartier Saint-Henri ressemble à tous les immeubles de condos modernes qui l’entourent. C’est le lieu de la rencontre intercoop initiée par la FHCQ et la coopérative dans le but de rassembler des membres de coopératives d’habitation du quartier.
Guillaume Tremblay-Boily, coorganisateur de la rencontre, nous accueille avec quelques membres dans la cour de la coop. Il y a notamment Prunelle Boucher, responsable du comité de bon voisinage ; Mouhssine Bellamine, l’Abitibien de Rouyn-Noranda qui a dû s’exiler à Montréal pour accéder plus facilement aux soins que sa santé requiert ; le Beauceron président artiste Hugo Nadeau; Renaud Boisclair, membre ainé et ancien président de la coop; la jeune maman avec sa fillette et son nouveau-né…
Des invité.e.s de l’intercoop du Plateau sont de la partie. Autour d’Érick Desranleau [Monsieur Intercoop], Nathalie Schneider et Marie-Ève Bouchard (coop Au pied de la montagne), Sébastien Laliberté (coop Marie-Anne) et Dwight Smith (coop Mile-End). Le joyeux groupe compare son apport à la rencontre à celui du vieux yogourt nécessaire à la préparation d’une nouvelle production.
Sébastien n’hésite pas à prendre le contrôle du BBQ. Tout le monde en est ravi ! On voit qu’il n’en est pas à son premier. Pour seul salaire, il ne demande que la possibilité d’inviter les participant.e.s à manifester auprès du FRAPRU et du RCLAQ en faveur du développement des coopératives et du logement social dans le cadre de la campagne électorale.
Collin Mayrand, le nouveau directeur de la vie associative et de la gouvernance à la FHCQ, est aussi présent. C’est pour lui un retour dans le monde des coopératives d’habitation. Il a notamment été administrateur de la Fédération dans les années 1990. Son message au groupe prend la forme d’une invitation. La vie associative de la Fédération redécolle, elle sera ce que vous, les membres souhaitez en faire.
Collin Myrand, directeur de la vie associative et de la gouvernance de la FHCQ et Dwight Smith de l'Intercoop du Plateau
Suivant les introductions d’usage et la présentation de l’Intercoop du Plateau, les participant.e.s affichent clairement leurs préférences pour les échanges libres sur les sujets de leur choix. Des groupes se forment et se transforment. Tout le monde est heureux de se retrouver en personne après plus de deux ans de pandémie.
À l’issue de la rencontre, le président de la coop hôtesse, Hugo Nadeau, avoue qu’il espérait une présence plus forte des coopératives du quartier. Il se réjouit toutefois de réaliser que l’intercoopération est aussi possible avec des coops de différents secteurs et régions.
Hugo Nadeau, président du CA de la coop Manoir Bourget
La contribution de sa coopérative à l’activité intercoop est bénéfique sur le plan interne, pense-t-il. L’ambiance festive et la participation volontaire de nouveaux membres de la coop à l’évènement sont de bon augure.
Il peut y avoir des implications volontaires et souhaitées de la part des membres, c’est de ça qu’on a tellement besoin. On peut toujours dire au membre : tu dois absolument faire tes tâches, tu es obligé, et la personne va le faire à reculons. Ce n’est pas là qu’on va aller chercher une participation qui a du sens. On a besoin d’avoir un vrai lien avec les membres, qu’ils se sentent chez eux et impliqués dans leurs propres affaires.
Pourquoi intercoopérer ?
La curiosité, la recherche de réponses à des questions pratico-pratiques et le désir de créer des liens avec des pairs sont les principales raisons invoquées par les membres des coopératives rencontrés pour participer au rendez-vous intercoop.
Convaincre nos membres d’investir dans la rénovation de notre coopérative
Gilbert Nokam Togue, Coop du Collège
Gilbert est passé en coup de vent à la rencontre au Manoir Bourget. Il ne pouvait rester pour le souper. Le préposé aux bénéficiaires au CHSLD Saint-Henri était de garde ce soir-là.
Membre de la coopérative du Collège, un ensemble de 12 logements, Gilbert s’implique au CA de sa coopérative depuis 2017. Il est responsable de l’entretien.
Même si son diplôme d’ingénieur obtenu en Italie n’est pas reconnu au Québec, son expertise l’aide à bien comprendre les besoins de rénovation de sa coopérative. L’enjeu crucial du financement est l’embuche sur laquelle sa coop bute.
Coop du Collège
J’ai entendu parler de fonds de la SCHL pour des rénovations, je voulais en savoir plus. La procédure pour demander des subventions est très complexe, nous aurions besoin d’aide.
Nous avons un vieux bâtiment, des travaux sont nécessaires, mais c’est un peu difficile. Les gens ne veulent pas faire de travaux pour éviter les augmentations de loyer. Moi, je leur dis : Non, vous allez y gagner à long terme. Même si les loyers augmentent, ce ne sera pas de 100 $ par mois, peut-être 25 $ ou 50 $.
J’espérais trouver des réponses. Est-ce que les autres ont vécu une telle expérience ? Si oui, comment s’y sont-ils pris pour convaincre les membres d’aller de l’avant avec les rénovations?
La curiosité
Minoo Gundevia, secrétaire, Sylvie Lemon, trésorière, et Jacynthe Therrien, présidente Coop Rêve bleu
Trois membres du conseil d’administration de la petite coopérative de 13 logements ont participé à la rencontre. La présidente, Jacynthe Therrien, était curieuse d’en apprendre plus sur l’intercoopération. C’est notre première expérience, ajoute la trésorière Sylvie Lemon qui espère s’informer sur le fonctionnement des autres coopératives.
Pour le secrétaire, Minoo Gundevia, la rencontre est une occasion pour échanger des connaissances, des idées et des expériences. Comme ça, on apprend beaucoup de choses sur ce qu’on peut faire pour améliorer la qualité de vie de nos membres.
Coop Rêve bleu
Ça va très bien dans notre coop, disent en cœur les trois membres. Nous avons une bonne planification et nous avons entrepris des rénovations qui permettront notamment de remplacer les portes et fenêtres de notre immeuble.
Le besoin de savoir-faire
Liliam Sosa, secrétaire du CA et Beatriz Andre, membre-locataire, Coop La galerie de Montréal
Nous avons beaucoup de défis et de questions, confie d’entrée de jeu Liliam Sosa, secrétaire de la coopérative de 45 logements. Nous avons des enjeux de participation des membres et un projet de rénovation pour lequel nous avons le budget, mais dont les études préliminaires doivent être refaites.
Avec Beatriz Andre, une membre locataire qui s’est beaucoup impliquée au CA, elle est venue à la rencontre en quête de savoir-faire. Les deux coopérantes ont atteint leurs objectifs.
On a fait des rencontres intéressantes, notamment avec Dwight Smith qui nous a donné beaucoup de trucs par rapport aux finances et aux budgets des comités qui permettent d’éviter de toujours passer par le CA pour approuver une dépense, dit-elle.
Coop La galerie
Liliam espère garder le contact avec les coopérant.e.s rencontrés. Elle est maintenant inscrite au forum qu’anime Dwight sur l’Intercoop du Plateau.
Une voix forte pour les coops d’habitation du quartier
Le quartier Saint-Henri s’est fortement embourgeoisé au cours des dernières années. Il y a beaucoup de condos, beaucoup de nouveaux résidents, racontent les membres rencontrés. On est entourés de maisons de villes, de condos. On aimerait avoir plus de solidarité entre les coops pour présenter un point de vue commun, raconte Minoo Gundevia, secrétaire de la coopérative Rêve bleu.
Guillaume Tremblay-Boily, administrateur de la coop Manoir Bourget
Guillaume Tremblay-Boily de la coop Manoir Bourget va dans le même sens. Une des utilités de l’intercoop, c’est de mettre de la pression collectivement pour qu’il y ait plus de logements sociaux, surtout dans un quartier comme ici où il y a un gros problème de gentrification. Juste en face, il y a un terrain qui est un stationnement où sera construit un immeuble à condos. En se mobilisant avec un petit groupe de citoyens, on a réussi à faire en sorte qu’il y aura un référendum sur le projet. Si toutes les coopératives d’un quartier se mobilisaient pour dire on veut plus de logement social, leur voix aurait du poids.
L’intercoop du Plateau
Nathalie Schneider et Marie-Ève Bouchard, membres de l'intercoop du Plateau
L’Intercoop du Plateau a débuté il y a une dizaine d’années. Des coopératives se regroupaient alors pour recevoir une formation de la Fédération et pour se rencontrer. L’intercoop est morte après quelques années avant de se ranimer au cours des dernières années. Notre fonctionnement est assez organique, il n’y a pas de président, on ne sait pas quand il y aura une autre réunion. En fait, elle se tiendra le jour où quelqu’un va en demander une, explique Érick Desranleau.
Dans un premier temps, l’Intercoop se limitait aux coops de l’arrondissement, membres de la fédération ou pas, grosse ou petite. Nous sommes repartis avec le principe d’être ouverts. On vise plus large, on a des gens de Côte-des-Neiges, d’Ahuntsic… On est en train d’ensemencer.
Dans les faits, depuis la pandémie, les échanges entre membres se font essentiellement en ligne par les forums sous forme de questions-réponses. Ça nous donne une perspective différente et ça crée des liens, dit Érick Desranleau.
Cellules restreintes
Depuis peu, l’Intercoop a créé six cellules restreintes qui permettent de travailler sur des enjeux spécifiques. L’entretien et la vie associative sont du nombre des cellules actives, dont les membres se réunissent régulièrement.
Suivant le mode de fonctionnement établi, l’Intercoop joue un rôle fédérateur. Les cellules disposent pour leur part d’une entière autonomie. Elles décident notamment de partager ou non les comptes-rendus de leurs réunions dans les forums. Elles sont constituées d’environ six personnes.
Remplir des demandes de subvention
En plus de se regrouper pour la formation et l’éducation, les membres de l’Intercoop peuvent également s’entraider pour remplir des demandes de subventions. Trois membres ont récemment collaboré pour remplir une demande de subvention dans le cadre de l’Initiative fédérale de logement communautaire (IFLC2).
Monsieur Intercoop
Erick Desranleau
Erick Desranleau est le champion de l’intercoopération à la FHCQ. Il est de presque tous les rendez-vous associatifs et revendique chaque année une place pour le 6e principe à l’assemblée de la Fédération.
Membre de la coopérative Notre-Dame de Fatima dans le Mile-End (voir Une coop qui rayonne dans le CITÉCOOP no 10, automne 2018), il est aussi l’un des fondateurs de l’Intercoop du Plateau, un groupe voué à la collaboration et aux échanges entre membres de coopératives d’habitation du quartier qui étend maintenant ses antennes à l’extérieur de l’arrondissement.
Faut-il voir un lien entre son action dans le mouvement coopératif et son métier d’éducateur à la petite enfance ? Sa contribution en tout cas est teintée par sa volonté de transmettre des valeurs et de promouvoir le pouvoir créatif de l’action collective à l’échelle des coopératives, du mouvement et des communautés locales.
Érick est un porteur de valeurs dont l’action s’ancre dans des projets concrets pour favoriser la qualité du vivre-ensemble, un élément essentiel au succès d’une coopérative d’habitation.
La soupe au caillou
L’intercoopération expliquée à la manière d’Érick Desranleau
Un étranger arrive dans un milieu assez fermé, et sa présence fait peur. Il demande à ses hôtes un chaudron et de l’eau pour faire une soupe au caillou qu’il partagera avec eux, dit-il.
L’étranger allume le feu et met son caillou dans l’eau à bouillir. Aussitôt, les gens arrivent avec leurs propositions d’ingrédients à ajouter.
— Moi, le céleri j’ai toujours aimé ça…
— Ce légume, c’était le préféré de ma grand-mère…
— Dans mon pays, on utilise cette herbe dans toutes les soupes…
Chacun apporte sa contribution. L’étranger enlève le caillou de la soupe. Il a produit son effet : les gens se sont rencontrés.
Le 6e principe au cœur de la vie associative qui se dessine
En ce soir de Perséides, les étoiles filantes brillaient dans les yeux des membres des différentes coopératives qui participaient à la rencontre intercoop de Saint-Henri.
Je suis sorti de cette soirée d’épluchette et de BBQ avec la tête remplie de possibles et des histoires d’Érick Desranleau.
Je ne peux que saluer sa généreuse contribution et celle de la délégation de l’Intercoop du Plateau venue partager sa recette pour faire de ces rencontres entre coops des moments de ressourcement, d’entraide, d’implications et d’accomplissement. Et ce, dans le plus grand des plaisirs.
À la rencontre de nos hôtes de la coopérative Manoir Bourget, j’ai aussi été séduit par un groupe qui se demande comment il peut aller plus loin. Quand le rêve habite les membres d’une coop, c’est généralement très bon signe !
Plusieurs m’ont questionné suivant les témoignages des membres de l’Intercoop du Plateau : on peut faire ceci ? On peut faire cela ? Comme me dira Véronique, une coopérante rencontrée deux semaines plus tard : C’est quoi la limite quand on travaille ensemble ?
Le ciel, pourrais-je lui répondre à la suite de ma visite à la coop Rêve bleu, une coop de Saint-Henri bien gérée avec des membres impliqués, un immeuble bien entretenu et une culture du vivre-ensemble qui en fait un milieu où il fait très bon vivre.
Vous l’aurez compris, mon enthousiasme est grand devant les perspectives qu’offre le développement de l’intercoopération. À n’en pas douter, le 6e principe sera au cœur de la vie associative qui se dessine à la FHCQ. Nous souhaitons récidiver avec d’autres rencontres comme celle de Saint-Henri, car ces échanges, loin d’être du bla-bla, sont vitaux à la réflexion nécessaire à toutes nos actions.
Cette culture organisationnelle qu’il nous faut développer est basée sur le savoir collectif des membres. Comme le disait Richard Phaneuf (coop Les Tourelles) à la dernière AGA : Quand tu as certains travaux à faire, souvent les seuls qui ont l’expertise nécessaire, ce sont d’autres coops.
On serait fous de se priver de nos ressources les plus précieuses. C’est pourquoi je vous invite à m’écrire si vous avez des idées et des projets pour mettre l’intercoopération au service de nos réussites collectives.
Collin Mayrand
Directeur des affaires associatives et de la gouvernance
cmayrand@fhcq.coop