Site Angus: une mobilisation citoyenne emblématique

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Le texte qui suit est tiré d’un document rédigé en 2017 (et révisé en 2023) par Bernard Vallée de Montréal Explorations.

Bernard Vallée est engagé depuis 40 ans, de façon militante ou professionnelle, dans plusieurs mouvements sociaux, particulièrement dans les domaines de la défense du droit au logement et à un aménagement urbain de qualité, de l’éducation populaire et de la formation continue, de la diffusion de l’histoire sociale, ouvrière et urbaine, et de la mise en valeur du patrimoine bâti et de l’action populaire.


La requalification, dans les années 1980, du secteur des usines Angus dans le quartier Rosemont donne lieu à une mobilisation citoyenne sans précédent avec la formation de la coalition la plus vaste et la plus diversifiée depuis celle qui s’était opposée à l’autoroute Est-Ouest dans les années 1970. Mis sur pied en 1981 par le Comité logement Rosemont, le Comité du terrain des usines Angus s’élargit pour devenir la Table populaire de concertation des terrains des usines Angus regroupant pas moins de 50 organismes. Outre les comités logement, la Table réunit un large éventail d’organismes populaires, mais aussi des syndicats, des services sociaux, des milieux universitaires et même des paroisses de l’Est de Montréal.

Soulignons que plusieurs femmes se sont révélées être des leaders au cours de cette campagne, la plupart étant toutefois restées dans l’ombre. Nous pouvons mentionner Céline Laberge, organisatrice communautaire au CLSC ainsi que des religieuses. C’est le nom d’André Lavallée, dont nous déplorons le décès cette année, qui reste toutefois attaché à la lutte d’Angus.

Cette mobilisation citoyenne victorieuse résultera en un nouveau quartier comprenant 1 043 logements sociaux et communautaires, dont 552 logements coopératifs, soit 40 % de l’ensemble immobilier. Elle servira d’inspiration pour des luttes subséquentes dans d’autres quartiers. Mais surtout elle modifiera le paysage social et politique de Montréal de façon durable. Elle donnera ainsi lieu à la toute première consultation publique, un mécanisme participatif qui s’implantera de façon durable avec l’arrivée au pouvoir du Rassemblement des citoyennes et citoyens de Montréal (RCM) en 1986.

C’est en 1904 que démarrent les usines Angus qui fabriquent des locomotives et des wagons, le plus vaste complexe industriel du Canada à l’époque. Après plusieurs décennies de gloire, les usines périclitent. Alors qu’à la fin des années 1950, le Canadien Pacifique occupait un terrain de 930 000 mètres carrés et employait 7 000 travailleurs, il ferme une première partie des ateliers au milieu des années 1970, et la moitié est de l’immense terrain devient une friche urbaine.

En 1976, la Société Marathon Realties annonce la réalisation d’un vaste projet immobilier de 140 M$ comprenant la construction d’un immense centre commercial, le plus gros au Québec avec 250 à 300 magasins, et d’un complexe immobilier de 1 500 logements à prix élevés.

La résistance à ce projet pharaonique s’organise d’abord à l’initiative des marchands qui craignent les retombées négatives du centre d’achat sur les artères commerciales. Mais dès 1977, le Comité logement Rosemont entreprend une mobilisation citoyenne en vue de réclamer la construction de 2 200 logements, dont la majorité devant être des logements à prix modique pour les ménages du quartier. Or, cette revendication va à l’encontre de la vision du Parti civique du maire Drapeau qui entrevoit plutôt ce que l’on appelle aujourd’hui la gentrification du quartier et ne prévoit que 13 % de logements pour les ménages gagnant moins de 15 000 $ par année.

Pour tenir une population et des acteurs sociaux mobilisés pendant une dizaine d’années, il a fallu déployer des moyens de rester dans l’actualité et d’alimenter régulièrement la conscience citoyenne. Se sont ainsi multipliés assembl ées publiques, pétition (de 11 000 noms !) avec une centaine de lettres d’appui, occupation de bureaux de politiciens, campings militants et festifs, dépôt de 35 mémoires lors des consultations publiques et diffusion de publications d’éducation populaire pour outiller les citoyen.ne.s et stimuler leur engagement dans l’action collective. Mais l’un des éléments les plus innovateurs de cette mobilisation consiste en un plan d’aménagement citoyen préparé, adopté et diffusé avant même que la Ville ne produise la sienne.

Le Comité logement Rosemont va en effet confier à un groupe d’étudiant.e.s de l’Université de Montréal et à leur professeur, l’architecte Pierre Morisset, l’élaboration d’une proposition de plan d’aménagement du site avec une démarche participative qui va impliquer plusieurs groupes de citoyen.ne.s. Cette proposition va être diffusée en 1982 sous la forme d’une brochure, «Pour du logement social de bonne qualité au Québec – Un exemple à réaliser – Les Shops Angus», et va être un des éléments clés de la consultation publique de 1983. Ce serait le premier plan d’urbanisme citoyen à Montréal à grande échelle; il préfigure les opérations populaires d’aménagement qui vont s’organiser au début des années 2000, notamment à Pointe-Saint-Charles.

Finalement, le 7 juillet 1983, le Gouvernement du Québec et la Ville de Montréal se portent acquéreurs des terrains, à parts égales, au coût de 9,4 M$. Un organisme paramunicipal, la Société de développement des terrains des usines Angus (SOTAN), est formé aux fins de les mettre en valeur. La construction débute en 1984 et se poursuit jusqu’en 1993.


ANDRÉ LAVALLÉE

Aux élections municipales de 1986, André Lavallée, le coordonnateur du Comité logement Rosemont et principal leader de la lutte citoyenne pour du logement social sur les terrains Angus, se présente comme conseiller municipal du district de Bourbonnière pour le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM).

Il a obtenu l’engagement du candidat à la mairie, Jean Doré, d’augmenter l’objectif de construction de logements sociaux sur le site Angus et d’amorcer une vaste démarche participative de réalisation d’un plan d’urbanisme pour Montréal. André Lavallée est élu, et les candidat.e.s du RCM remportent tous les sièges dans Rosemont. Il est nommé président de la Commission d’habitation et d’urbanisme du Conseil municipal, ce qui lui permet de s’assurer que les revendications citoyennes au sujet du site Angus soient réalisées.

Lors du deuxième mandat du RCM, il pilote brillamment la réalisation et l’adoption du premier plan d’urbanisme de Montréal et supervise les dernières étapes de la phase I du projet Angus. Il sera également vice-président du Comité exécutif et maire de l’arrondissement de Rosemont – La Petite Patrie.


Tiré de l'article publié dans le magazine CITÉCOOP - Volume 10, numéro 19 | Printemps 2023