Par Julien Dion, avocat et médiateur
L’Assemblée nationale du Québec a adopté le 15 mars dernier le projet de loi 8 qui vise à améliorer l’accès à la justice, en favorisant notamment l’usage de l’arbitrage aux petites créances (dossiers de moins de 15000 $). Le gouvernement met pour la première fois à l’avant-scène de la résolution des conflits le mécanisme d’arbitrage, en le rendant même obligatoire pour certains dossiers. Est-ce que le mouvement coopératif pourrait aussi suivre cette voie ? C’est ce que nous tenterons d’analyser.
Ce n’est pas d’hier que circule l’idée d’utiliser l’arbitrage comme moyen de régler certains conflits en coopérative d’habitation. Le mouvement s’est intéressé à la question dès 2005 sans l’intégrer à ses pratiques. Elle parait particulièrement pertinente quand on sait qu’un membre insatisfait d’une décision de son CA, telle qu’une exclusion, doit faire une fastidieuse demande en contrôle judiciaire à la Cour supérieure, une démarche longue et coûteuse pour la coopérative. Est-ce une bonne idée ?
Tentons de voir ce qu’est l’arbitrage, quels sont ses limites et ses avantages en contexte coopératif et comment il pourrait être intégré au processus de règlement des litiges en coopérative.
Qu’est-ce que l’arbitrage ?
C’est un mode de règlement d’un conflit par lequel deux personnes s’en remettent d’un commun accord à un tiers neutre et impartial pour prendre une décision.
Ainsi, à la différence de la médiation où le tiers tente de rapprocher et d’aider les parties à trouver des solutions (parfois créatives) au conflit sans trancher, en arbitrage la personne co-choisie (l’arbitre) prend une décision et tranche pour les parties après les avoir écoutées en fonction du contrat ou de la loi.
Il existe plusieurs formes d’arbitrage (conventionnel, préjudiciel, statutaire) et il y a plusieurs modes hybrides (le plus fréquent étant la médiation-arbitrage).
L’arbitrage est utilisé depuis longtemps dans les relations de travail en milieu syndiqué. Il est aussi utilisé dans les contrats commerciaux ou les conventions internationales. Son utilisation est plus récente dans les autres domaines.
Quelques particularités
- En contexte de coopérative d’habitation, l’arbitrage ne pourrait pas concerner la relation locataire-propriétaire (le bail), mais uniquement la relation membre-coopérative (contrat de membre), car le Tribunal administratif du logement a une exclusivité sur tout ce qui concerne le bail du logement.
- Il n’y a pas de règles précises et uniformes s’appliquant à tous les arbitrages; ce sont les deux parties qui décident conjointement des règles.
- L’arbitre est choisi et généralement payé conjointement par les deux personnes.
- L’arbitre décide pour les parties, comme un juge.
- À la fin, l’arbitre doit écrire une décision (une sentence arbitrale).
- Les parties doivent être d’accord pour soumettre leur conflit à l’arbitrage : par une clause dans un contrat ou par une entente (la clause doit être bien rédigée et contenir certains éléments précis pour être valide).
- Généralement, on convient de perdre le droit de s’adresser aux tribunaux pour trancher par la suite le conflit.
- Habituellement, la décision de l’arbitre est finale, elle ne peut être infirmée en cas d’insatisfaction.
Qui peut être arbitre ?
Ce sont principalement des professionnel.le.s (avocat.e.s, ingénieur.e.s, comptables…) qui, après avoir suivi une formation et répondu à certains critères, deviennent arbitres accrédités (par leur ordre professionnel ou l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec-IMAQ). Cependant, la profession n’est régie par aucun ordre professionnel limitant qui peut se dire arbitre. Ainsi, deux personnes pourraient conjointement sélectionner n’importe qui pour trancher leur litige.
Côtés positifs de l’arbitrage
- Il propose une alternative beaucoup plus rapide que le processus judiciaire.
- Il offre plusieurs formes possibles, pouvant permettre une plus grande agilité selon le conflit.
- Les parties peuvent décider conjointement de mettre de côté certaines règles de droit afin d’avoir une plus grande flexibilité.
- Si les parties se représentent seules, elles peuvent s’épargner des frais d’avocats.
- Les règles de procédure peuvent être simplifiées, évitant ainsi la grande complexité procédurale d’un recours devant la Cour supérieure.
- Avec le temps, il pourrait y avoir des arbitres spécialisés en contexte coopératif.
Limites de l’arbitrage
- Le nombre d’arbitres est limité à l’heure actuelle (et ils sont souvent spécialisés en droit du travail).
- Les honoraires de l’arbitre doivent être assumés conjointement par le membre et la coopérative (vs des frais judiciaires réduits devant les tribunaux).
- Généralement, l’arbitre rend une décision finale et sans appel, pouvant ainsi engendrer plus de frustration et un sentiment de manque de justice pour les participants.e.s.
- Le processus est plus contraignant et moins agile que la médiation (entre autres choses, parce qu’on doit utiliser une procédure).
- Si la question soumise à l’arbitrage est trop précise, il y a un risque de passer à côté de certains aspects importants à aborder pour parvenir à une solution pérenne.
- Comme la décision d’aller en arbitrage doit être conjointe, il pourrait y avoir un déséquilibre des forces entre coopérative et membre individuel.
Comment l’utiliser
Si une coopérative voulait aujourd’hui tenter de régler un conflit avec un membre par l’arbitrage, comment pourrait-elle faire ?
- Il faudrait d’abord qu’il y ait un accord ou un contrat signé par la coop et le membre pour soumettre le cas à l’arbitrage.
- Dans ce contrat, il faudrait se mettre d’accord sur la forme d’arbitrage puis sur le nom de l’arbitre choisi ou la liste utilisée pour le recruter (par exemple, celle de l’IMAQ), sur les règles de procédure utilisées, sur les délais, etc.
- Il faudrait aussi indiquer clairement la question qui est soumise à l’arbitre.
Une bonne solution de rechange ?
Comme on le voit, plusieurs questions surgissent lorsqu’on pense à l’utilisation de l’arbitrage. Il ne représente pas la solution à tous les types de situations, mais pourrait être utile dans certains contextes.
Une idée pour tester ce mode de résolution pourrait être d’utiliser la méthode par palier : d’abord la médiation, puis l’arbitrage ou la médiation-arbitrage, puis les tribunaux.
Évidemment, rien ne saurait remplacer le dialogue et des processus internes de règlement des différends comme première solution et levier en cas de conflit !
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