L’habitation coop dans nos campagnes

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Tiré du magazine CITÉCOOP, volume 10, numéro 20 - Automne 2023

Au Québec, l’habitation coopérative s’est surtout développée dans les centres urbains. Avec la pénurie de logements qui s’est répandue dans toute la province, la formule apparait aussi comme la clé d’une sortie de crise en milieu rural.

À Palmarolle, une municipalité de 1 400 habitants de l’Abitibi-Témiscamingue, le milieu se mobilise autour du projet d’acquisition de l’ancien CHSLD, fermé en 2018, pour le convertir en coopérative d’habitation.

Il en va de la vitalité de la communauté où le manque de logements associé au vieillissement de la population exacerbe la pénurie de main-d’œuvre, freine l’activité économique et entraine même une réduction des services essentiels tels les soins de santé.

La coop Le Chanteclerc d’Abitibi-Ouest a été officiellement formée cet hiver, et la FHCQ soutient le groupe porteur dans ses démarches pour réaliser son projet.


5 juillet 2023 - La pluie tombe enfin dans la MRC Abitibi-Ouest qui a été aux prises avec d’importants feux de forêt au début de l’été. À Palmarolle, un village agricole situé à 680 km au nord-ouest de Montréal, on respire un peu mieux. Toutefois, des défis qui n’ont rien à voir avec le climat pèsent lourd sur la communauté et sur plusieurs petites localités à travers le Québec.

Le manque de logements est au cœur du problème, raconte l’entrepreneur et ancien maire de Palmarolle, Pierre Vachon, qui est le président du conseil d’administration de la coopérative et dont la réputation d’homme de projets est bien établie en Abitbi-Ouest.


L’Abitibi-Ouest est l’une des cinq MRC de l’Abitibi-Témiscamingue. Elle compte 20 000 habitants et sa plus grande ville est La Sarre. La forêt et l’agriculture sont les piliers de l’économie locale.


«Un taux de vacance de 0,2 % ou 0,3 %, ce n’est pas beaucoup pour une région qui veut se développer. Les entreprises ont des problèmes de main-d’œuvre. Certaines compagnies assez grosses [les minières] ont acheté des maisons pour loger leurs employés, mais c’est sûr que, quand tu ne peux pas trouver de main-d’œuvre, ton entreprise stagne, tu ne peux pas développer son plein potentiel.»

C’est dans ce contexte qu’est né le projet d’acquisition de l’ancien CHSLD, Le Foyer Monseigneur Halde, fermé en 2018.

Louisa Nicol, 80 ans, une artiste peintre qui exploite une petite galerie d’art derrière sa résidence, est la secrétaire de la nouvelle coopérative. «Je ne me suis pas jointe au projet parce que j'en ai besoin pour me loger, mais je connais des gens qui ont besoin d’aide ici. Tous les projets qu'on peut faire à Palmarolle, ça m'importe beaucoup», dit-elle.

Louisa ne peut supporter l’idée de laisser pourrir un tel immeuble au cœur du village alors que les besoins sont criants. Elle craint que le Foyer subisse le même sort que l’École des garçons, cédée pour un dollar à un promoteur privé il y a 25 ans et qui depuis n’a fait que se délabrer.

Martine Lapointe, membre de la coop, est une infirmière à la retraite. Elle a travaillé au Foyer jusqu’à sa fermeture. Elle non plus n’est pas en quête d’un logement à la coopérative. «Ma motivation, c'est la gang ! Je viens chercher de l’expérience, connaître ce qu’est la coopérative. J'espère qu'avec ce projet-là, le monde va suivre la vague», dit la femme pour qui les réseaux sociaux comme Facebook et l’abus des technologies ont mis à mal le dynamisme de son village. Comme si un j’aime pouvait remplacer une participation à la vie communautaire…

L’idée de la coopérative ?

Même si le développement de la jeune municipalité qui fêtera son 100e anniversaire en 2026 est étroitement lié à celui du mouvement coopératif, l’idée de former une coopérative n’a pas été automatique. Il faut dire que la formule en habitation est peu développée dans la région et inexistante dans la MRC d’Abitibi-Ouest.


L’habitation coopérative en Abitibi-Témiscamingue | 9 coops - 254 logements

Amos 4 coops – 123 logements
Val-d’Or 2 coops – 100 logements
Rouyn-Noranda 3 coops – 31 logements


«Je connaissais les condos pour y avoir vécu à Montréal, mais c'est surtout Aline Bégin qui a fondé plusieurs coops [à Québec et à Gatineau] qui nous a expliqué tous les tenants et aboutissants et c'est elle qui a eu l’idée de reprendre l’immeuble en formant une coopérative», raconte Louisa.

Coopérante convaincue, Aline Bégin est la vice-présidente de la coop. La Palmarolloise a bourlingué à travers le Québec et joué un rôle de premier plan dans la réalisation et l’exploitation de la coopérative le Camaïeu à Québec, puis de la coop Le Triède à Gatineau. Elle a aussi présidé aux destinées de l’organisation Habitat urbain de l’Outaouais où elle a notamment fait la connaissance de l’administrateur de la FHCQ, Robert Gratton, qui s’implique dans le projet du Chanteclerc.

Rejointe en visioconférence, cette autre ainée hyper dynamique, malgré quelques ennuis de santé, raconte qu’elle a beaucoup martelé son message au comité de développement local. «À chaque réunion, je leur disais : il faut qu'on fasse une coopérative d’habitation. Ça ne donne rien de vouloir développer, on ne peut pas vendre des terrains à des riches. Je ne sais pas quel riche va venir rester ici. Il faut commencer par accueillir les gens avec un logement, ensuite ils vont peut-être s'acheter un terrain et construire une maison.»

L’immeuble visé

L’ancien CHSLD est situé face à l’église au milieu du village. Au moment de mettre la clé dans la porte en 2018, le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSSAT) jugeait son état peu sécuritaire pour la clientèle. Le rapport d’ingénierie évoquait même l’éventuel glissement du bâtiment dans la rivière qui jouxte l’immeuble.

Aline Bégin et la population locale qui ont manifesté en 2018 contre la fermeture de l’institution croient au potentiel du bâtiment. «On n'est pas d'accord. On est capable de régler le problème si on ne laisse pas ça entre les mains des fonctionnaires. On a créé la coopérative pour acquérir l’immeuble et se l’approprier», assure-t-elle. Selon les évaluations de la coopérative, seule la petite rallonge à l’arrière pourrait être en cause.

Le projet du Chanteclerc d’Abitibi-Ouest

La coopérative prévoit rénover l’immeuble et le convertir pour permettre l’aménagement de 24 logements. Le projet est estimé à un peu plus de 4 M$. On souhaite y loger une mixité de ménages. «On ne pense pas à une coopérative spécialisée pour les personnes âgées, mais bien à un projet mixte avec également de jeunes familles avec enfants pour qu'il y ait une dynamique à l'intérieur de l’immeuble», explique Louisa.

À la lumière de son expérience, Aline Bégin milite aussi en faveur d’une mixité de population au sein de la coop pour favoriser l’autogestion.

Le financement

La coopérative a soumis une demande de financement dans le cadre de l’Initiative de création rapide de logements (ICRL) du gouvernement fédéral, un programme qui a été transféré de la SCHL à la SHQ. Le projet soumis à la SHQ n’a pas été retenu, mais la coop poursuit ses démarches de financement en collaboration avec la MRC et Desjardins.

La municipalité, quant à elle, a donné son appui au projet, mais elle a déjà informé la coopérative qu’elle ne dispose pas des ressources financières pour contribuer à la réalisation de la coop. Le président du CA, qui a été maire de Palmarolle pendant 10 ans, se montre compréhensif. «Les municipalités ont de grandes responsabilités, mais on voit un terrain d’entente possible», affirme-t-il.

Vue aérienne du village de Palmarolle. Photo Hugo Lacroix

Une mobilisation plus large

Le projet de la coopérative s’inscrit dans une mobilisation plus large de la communauté d’Abitibi-Ouest afin de pallier le manque de main-d’œuvre dans le milieu de la santé, un enjeu majeur dans la MRC où la pénurie de personnel infirmier a forcé le CISSSAT à réduire significativement son offre de service.

En à peine un an, la grande séduction menée par le comité citoyen a permis de recueillir des dons totalisant 1 M$ dans un bassin de population d’à peine 20 000 personnes. L’action du comité, qui appuie le projet de la coop, vise à favoriser l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants, et le logement fait partie des défis à relever.

Le président du CA, Pierre Vachon, est membre du comité. «Le défi qu’on a toujours en région, c’est qu’on est au bout du tunnel. Il faut amener le monde ici, mais depuis deux ans, on travaille fort, pas seulement à Palmarolle, mais dans toute la communauté qui s’est prise en main : la MRC, le Carrefour jeunesse emploi, le CISSAT et d’autres pour pousser du même bord. C’est intéressant parce que, quand on travaille en silo, ça ne marche pas très bien. Le silo, c’est bien pour l’agriculture, mais pour réussir comme communauté, à l’exemple des coopératives, il faut travailler ensemble», assure-t-il.