Défi du vieillissement - Entre les risques et les opportunités

Large dossier vieillisement risques

Sur la photo (de gauche à droite) : Francine Noël, membre de la Coopérative La Marinière, Élimane Sy, conseiller en gestion de la FECHIMM et Jeanne-Hubert, membre de la Coopérative Retour à l’école.


Arrivée de Belgique au début des années 80, Francine Noël a mis trois ans et habité trois logements différents avant de découvrir la formule coopérative en habitation. Elle s’installe alors à la Marinière, une jeune coopérative du quartier Rosemont, construite sur les terrains de l’ancienne usine Angus.

Aujourd’hui âgée de 64 ans, la femme qui s’apprête à prendre sa retraite n’a jamais regretté son choix et n’a aucun projet de quitter sa coop. « J'espère pouvoir rester jusqu'à la fin de ma vie. Je crois que c'est tout à fait possible, la coopérative est ouverte à avoir des aînés, je ne suis pas la seule, notre doyenne a 78 ans », dit-elle.

Toutes les coopératives d’habitation ne manifestent cependant pas la même ouverture à l’égard de leur population vieillissante. Élimane Sy, conseiller en gestion à la FECHIMM, constate que la cohabitation entre les différentes générations n’est pas toujours facile. « L’absence de participation de certains aînés malades et vieillissants fait dire à certains jeunes que leur place n’est plus dans une coop, mais dans un centre d'hébergement. Ils semblent oublier que ce sont souvent ces gens qui ont bâti la coop », dit-il.

Jeanne Hubert, formatrice pour la FECHIMM, dresse un constat similaire. La femme de 60 ans, membre de la Coop Retour à l’école depuis 33 ans, œuvre en médiation et en résolution de conflits dans différentes coopératives de Montréal.

Elle remarque que les problématiques liées au vieillissement de la population émergent un peu partout et que certains aînés sont confrontés de différentes manières, plus ou moins subtilement, quant à leur niveau de participation. Ils peuvent même être encouragés à quitter leur coop. « J'ai vu un membre quitter sa coop pour une résidence pour aînés à qui on a dit : Bravo! Un bon membre, c'est un membre qui s’en va lorsqu’il sent qu'il est moins capable », déplore-t-elle.

À son avis, l’âgisme, avec son cortège de préjugés, dans certaines coopératives d’habitation, comme dans tout milieu dans notre société, peut colorer les perceptions et les décisions. Il y a lieu de craindre que des coopératives interprètent de façon subjective l’article de la Loi sur les coopératives stipulant qu’une personne doit avoir la capacité effective d’être un usager des services de la coopérative pour être membre. «Pourrait-on invoquer cet article, se demande-t-elle, pour exclure un aîné ou un membre de n’importe quel âge atteint d’une limite temporaire ou permanente due à son état de santé ? C’est évoqué… »

Tout en comprenant la volonté de plusieurs coopératives de faire une place aux jeunes familles et de rajeunir leur effectif, elle s’inquiète aussi du risque que des coopératives adoptent des critères de sélection qui, sans le dire ouvertement, créeront une forme de discrimination à l’endroit de personnes plus âgées. « Il y a plein de femmes de 50 ans et plus qui viennent me dire qu'elles veulent vivre en coop. Le besoin des familles est réel, mais des aînés aspirent aussi à vivre en coopérative », dit-elle.

Face au vieillissement de la population des coopératives, Jeanne Hubert estime qu’on doit tenir compte à la fois des limites qui peuvent survenir avec l’âge, mais aussi des forces réelles qui viennent avec le temps et de la plus grande disponibilité de plusieurs. Francine Noël qui, une fois à la retraite, se chargera de l’accueil des entrepreneurs à la Coopérative La Marinière partage tout à fait ce point de vue. « Même si on ne peut plus faire de tâches qui demandent une force physique, on peut faire beaucoup d'autres choses, dont tout l'aspect du secrétariat et des finances où l'âge n'a aucune importance ».

La recherche de solutions pour faire face à ce défi passe aussi par une redéfinition des modes de participation des aînés dans les coopératives, croit Élimane Sy. Robert Maningham, directeur général du GRT Atelier Habitation Montréal, lui-même membre d’une coopérative abonde dans le même sens. « Demander aux gens de faire l’entretien et la peinture, particulièrement dans un contexte de vieillissement de la population dans les anciennes coops n’est pas une voie à suivre », dit-il.

L’embauche collective d’un concierge ou d’une compagnie d’entretien, une pratique appliquée dans certaines coops, mais considérée comme une hérésie anticoopérative dans certaines autres, doit être envisagée selon Jeanne Hubert. « La capacité de certains de payer un léger supplément pour faire effectuer certaines tâches plus ardues doit aussi être considérée », dit-elle.

La présence de jeunes aînés dans la coopérative peut aussi contribuer à tempérer l’ambiance et les relations, croit Élimane Sy. « Pour moi, ce sont les modérateurs. J’ai l’impression qu’ils comprennent les deux générations. S’il y avait un mélange gagnant à faire, il faudrait mettre un 20 ans, un 50 ans et un 80 ans ».

Convaincue qu’on ne peut envisager une solution mur à mur sur cette question, Jeanne Hubert croit que ce défi ne doit pas être relevé coop par coop, mais bien par une réflexion et une conscientisation collective afin éviter les pièges de l’âgisme. « Nous, les humains, sommes assez créatifs pour trouver des solutions. Il nous suffit de nous ouvrir à des alternatives », conclut-elle.


Également à lire dans ce dossier

Quand une crise s’avère bénéfique

L’exclusion comme membre, pour une période d’un mois, d’une aînée qui avait omis de se faire remplacer pour une corvée de peinture a été le déclencheur d’une petite crise qui a entraîné un vent de changement à la Coopérative Le Martinet, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Une coopérative d’aînées qui bourdonne d’activités

Avec 142 logements et des résidents dont la moyenne d’âge est de 70 ans, la Coopérative Émile-Nellingan du quartier Mercier n’est pas très représentative des coopératives regroupées à la FECHIMM.

De l’extérieur, l’immeuble construit en 2008 sous le programme Logement abordable Québec ne se distingue pas particulièrement des autres édifices à condos qui longent l’autoroute 25 dans le quartier Mercier. À l’intérieur cependant, un groupe composé essentiellement de femmes s’active au secrétariat de la coop destinée à des personnes autonomes de 55 ans et plus.